Soulevons-nous - Journal collectif d’une lutte ouvrière (et pas que) 4/16

Suite de notre feuilleton GKN. Les ouvriers préparent la manifestation du 18 septembre. Ils s'adressent à la ville de Florence, vont à Naples et luttent aux cotés des travailleurs de Texprint et des camarades de Si Cobas en grève de la faim. La mobilisation est partout et partagée.

légende

Journal (22 août-3 septembre)

22 août

« Eux » pleurent et baisent. Nous, non. Nous, toujours joyeux nous devons rester, nos pleurs font mal au roi. Ils deviennent tous tristes si nous pleurons.1 Et effectivement nous sommes joyeux. Joyeux et en lutte. D’une joie irrépressible Et donc, nous vous le répétons : ne vous avisez pas d’envoyer ces lettres de licenciement.

Cette usine est notre maison et nous n’en partirons pas.

23 août

Nous vous avons demandé de venir et vous êtes venus. À présent, commençons à bouger.

Nous ne pouvons être partout, mais nous pouvons essayer d’être dans quelques-unes des grandes villes du pays pour un court moment. On commence par Naples, le 3 septembre.

Nous vous demandons d’y être, de converger à cette assemblée. Nous remercions les lieux qui nous accueillent et qui nous accueilleront avec la plus grande hospitalité.

Nous viendrons pour vous parler de nous. Nous viendrons écouter ce que vous avez à nous dire. Nous viendrons pour échanger sur l’importance de se soulever.

Et nous vous disons aussi qu’actuellement les lettres de licenciement pourraient arriver à partir de la quatrième semaine de septembre. Raison pour laquelle, le samedi 18 septembre, restez disponibles.

1er septembre

Salut Florence, prenons cinq minutes pour nous deux. Cette lutte ne te regarde pas seulement toi, mais potentiellement toutes les travailleuses et travailleurs du pays. Mais prenons un moment pour se regarder dans les yeux, tous les deux.

Asseyons-nous quelque part ici. De préférence à l’abri, car sur ce parvis, si ce n'est pas le soleil qui tape, le vent qui souffle. L’usine, nous nous en occupons, nous. Si tu tends l’oreille, tu peux entendre sa respiration. On dirait presque une enfant qui dort. Prête à se réveiller, d’un moment à l’autre, et à reprendre le cours de sa vie. Parfois, il nous vient une douleur au ventre à l’idée qu’ils veulent la démanteler, la démonter, la réduire à l’état de squelette.

Sur le mât nous avons mis quatre drapeaux. Celui des pirates parce que nous sommes un équipage rebelle ; le drapeau tricolore avec l’étoile qui symbolise la Résistance ; le drapeau de l’organisation syndicale la plus présente à l’usine, et enfin le lys, ton symbole. Parce que cette usine au fond t’appartient plus à toi qu’à nous. Cette usine est reliée par un fil rouge à la Fiat de Novoli. C’est le résultat de générations d’ouvriers, de techniciens et d’employés qui ont traversé notre territoire. Ces 500 postes de travail sont ce qui reste d’une histoire collective. Ils appartiennent à la collectivité.

Florence, nous ne prétendons pas parler à toutes les âmes qui t’habitent. Sans doute nous n’en serions même pas capables. Sans doute avec certaines nous n’avons pas grand-chose en commun. Mais nous savons que tu es la cité rebelle, jamais domptée. Capable de défier les papes, les rois, de résister aux sièges, de te soulever avec ton peuple, que ce soit au temps des Ciompi ou en 1944.

Et à présent, une fois de plus, il faut soutenir un siège et gagner une guerre : contre le tout-puissant fonds financier, contre l’impuissance ou la complicité des lois et des institutions, contre la peur, le désespoir, la résignation et le chômage.

Ici ton drapeau flotte. Nous te demandons d’accrocher notre drapeau à tes balcons ou à tes fenêtres. Nous en avons plusieurs exemplaires ici. S’il n’y en a pas assez, nous te demandons d’accrocher à tes balcons un drapeau de la même couleur rouge, un drap ou une feuille avec écrit #soulevons-nous.

Et samedi 18 après-midi, nous te demandons de rester disponible et prête à accueillir une manifestation nationale. Nous te demandons de te mettre à l’arrêt, de reporter tout engagement et d’honorer ton devoir de capitale de notre lutte. Parce qu’il y en aura d’autres des samedis, des week-ends à la campagne, des courses et des commissions à faire, il y en aura tant d’autres.

Mais un samedi aussi historique, cela n’arrive pas souvent dans la vie.

2 septembre

Les travailleurs de Texprint et les camarades de Si Cobas ont commencé hier une grève de la faim et se sont rassemblés devant l’hôtel de ville de Prato. Aujourd’hui nous allons envoyer une délégation qui portera des sels minéraux et de l’eau.

Mais nous, nous « n’apportons » pas, nous ne « déclarons » pas notre solidarité. Ces verbes sont ceux de quelqu’un qui concède de l’extérieur un peu de son temps et de son attention à la lutte d’autrui.

Si vous ne l’avez pas encore compris, la lutte Texprint et celle de GKN sont une seule et même lutte. Et il ne s’agit pas d’une déclaration générale du type « au fond, tout est lié ».

Et il ne s’agit pas d’une seule et même lutte « seulement » parce que nous sommes aux côtés les uns des autres depuis le début.

Dans la région de Prato et dans notre zone industrielle, il n’y a pas seulement des crises et des fermetures d’usine. Il y a aussi des entreprises qui sont montées, qui naissent, se développent et meurent, mais qui prétendent le faire en ignorant les lois. Concrètement, à GKN, ils veulent délocaliser les machines et la production, tandis qu’à Texprint ils ont délocalisé les droits, les lois et les contrats.

Il s’agit du même mouvement économique, du même processus. De la même tendance à maximiser les profits en ignorant nos vies.

Mais au fond, ne suffit-il pas de traduire vulgairement les propos du président de la Confindustria Bonomi ? Quand il dit que si l’on impose des contraintes aux entreprises qui délocalisent leur production, elles n’investissent plus, ne revendique-t-il pas le droit de venir ici comme des sauterelles, d’exploiter puis de repartir ?

Quand ils disent que les droits font fuir les entreprises, ne sont-ils pas en train de dire que les multinationales et la Confindustria demandent le droit de produire en nous appauvrissant tout en s’enrichissant sans limites ?

C’est pour cela aussi que, unis aux travailleuses et travailleurs de Texprint et de toutes les entreprises en lutte, #soulevons-nous.

3 septembre

Nous avons reçu à l’instant l’annonce de l’expulsion de l’occupation de Texprint dans le centre-ville de Prato. Et d’après ce que l’on a pu comprendre, il y a en ce moment même des arrestations.

Mais, vraiment, vous pensez pouvoir arrêter ainsi cette lutte ? Vraiment, vous voulez attaquer les travailleurs qui demandent tout simplement le respect du contrat national ? Les travailleurs de Texprint étaient justement venus ici hier soir pour expliquer leur situation. Nous considérons que cette attaque contre eux est une attaque contre nous tous.

3septembre

Mais pourquoi luttons-nous exactement ? Pour vivre et pour survivre. C’est sûr. Pour garder nos emplois. Évidemment. Pour défendre une usine productive et qui a des commandes. C’est vrai. Mais nous sommes en lutte aussi pour l’emploi comme patrimoine collectif. Ce qui hier t’appartenait, aujourd’hui m’appartient et demain sera à toi.

Nous luttons pour la dignité, la sueur, les rires, les histoires et les embrouilles qui ont imprégné et construit cette usine. Nous luttons pour qui était là, qui est là et qui sera là.

GKN, c’est des nouveaux robots, mais aussi des machines qui datent du plan Marshall. C’est les accords sur le travail à la pièce d’avant 68, les tracts et les procès-verbaux de la défaite de la Fiat des années 80.

Le 18 septembre, #soulevons-nous ensemble. C’est l’heure d’insister, de partager, d’en parler, de se préparer, de motiver.

Travailleuses et travailleurs, précaires, chômeurs et chômeuses, étudiantes et étudiants, entrepreneurs, retraité. e. s, réalités sociales, structures syndicales, délégué. e. s syndicaux, autres luttes, nous vous appelons, nous vous invitons, nous avons exhortons, nous vous supplions de vous soulever. Et de dire que « cette fois-ci, non », cette fois-ci cela ne peut finir comme toutes les autres fois. Pour le bien de tous.

GKN n’est pas un cas isolé. C’est la dernière étape d’une série de fermetures, de restructurations, de licenciements. Et si nous ne les arrêtons pas, ce sera la première d’une nouvelle série de licenciements.

Nous n’avons pas d’autre choix que de nous battre, de toutes nos forces. Vous, vous pouvez choisir : vous pouvez vivre l’affaire GKN comme l’histoire d’une entreprise en crise parmi tant d’autres, ou bien être avec nous, vous soulever, pour que notre lutte devienne un moment d’espoir pour tous. Nous sommes conscients de ne pas seulement lutter contre des licenciements, mais contre des mécanismes économiques, législatifs et sociaux mis en place depuis des décennies.

La fermeture de GKN est le résultat de la toute-puissance de la finance, de la destruction du droit du travail, de l’impuissance ou de la complicité des institutions. C’est pourquoi pour sauver GKN, il faut changer le pays et, si nous changeons le pays, nous le changeons en faveur et dans l’intérêt de tous.

Le fonds financier qui nous a rachetés a fait son métier : son métier c’est de gagner en détruisant des emplois. Ils achètent des entreprises pour les restructurer et en revendre les actions. Ce sont des charognards et, comme on le sait, les charognards mangent les carcasses. Le fait est qu’ils ne devraient pas être autorisés à transformer des entreprises qui fonctionnent en carcasses.

C’est pourquoi nous voulons être clairs : la fermeture éventuelle de GKN relève et relèvera entièrement de la responsabilité du gouvernement de ce pays. Ne vous avisez pas d’envoyer les lettres de licenciement. S’il manque des instruments législatifs pour sauver GKN, créez-les. S’il faut écrire une loi anti-délocalisation, faites-le à partir des huit propositions de l’assemblée permanente des travailleurs de GKN. Si les entreprises comme GKN, Whirlpool, etc., n’annulent pas les licenciements, décrétez d’urgence la suspension des procédures de licenciement.

GKN est aussi le prélude de ce qui est probablement déjà en train de se produire au sein du groupe Stellantis, avec son retrait de l’Italie et la restructuration de ce qui était autrefois la Fiat. C’est pourquoi nous appelons aussi et surtout nos collègues de Stellantis et de tout le secteur automobile à nous rejoindre dans la rue.

Et que l’on ne vienne pas instrumentaliser la transition écologique pour justifier des licenciements. Non seulement parce qu’à GKN nous produisons des systèmes de transmissions, qui continuent à être utilisés pour les voitures électriques, mais aussi qu’il reste à démontrer qu’il s’agit d’une véritable transition écologique. Et si la transition écologique est réelle, elle peut et doit être mise en place par une planification publique et par la contribution des travailleurs, non pas en l’utilisant comme excuse pour imposer un massacre social.

Nous appelons donc à manifester ceux qui sont en train de perdre leur travail, mais aussi ceux qui pourraient le perdre. Ceux qui ont depuis toujours un travail précaire, qui travaillent en étant sous-payés, ceux qui travaillent dans la fonction publique alors que le personnel manque énormément, tout en étant harcelés, et que l’on traite pourtant de fainéants. Ceux qui sont au chômage ou étudient, galérant peut-être à payer leurs études. Le 18 septembre, il n’existera plus de distinction entre nous, mais seulement un fleuve en crue qui remettra directement en cause le gouvernement.

Ils ne voulaient pas que nous tenions jusqu’à l’automne, et au lieu de cela, nous commencerons la saison trois jours plus tôt, le 18 septembre, avec une manifestation. Et si l’on commence l’automne en se soulevant, nous pouvons sûrement mettre à l’ordre du jour de la lutte un pays meilleur.

À suivre...


  1. «Noi sempre allegri bisogna stare che il nostro piangere fa male al re» est une citation tirée d’une chanson «Ho visto un re» (J’ai vu un roi) dont le texte a été écrit par Dario FO (NDT) ↩︎