Soulevons-nous - Journal collectif d’une lutte ouvrière (et pas que) 2/16

Suite de notre feuilleton GKN. Après le licenciement de l'ensemble des travailleurs, ceux-ci ont décidé d'occuper leur usine et ont appelé à une mobilisation de toutes et tous pour résister et répondre collectivement à ce genre de manoeuvre. L'occupation de l'usine se poursuit, avec de nombreux soutiens.

Crédit - Antonio Pronostico / Edizioni Alegre

Journal (13-24 juillet)

13 juillet 2021

Vous êtes nombreux à nous demander si vous pouvez venir à des concerts ou des initiatives. Vous êtes toujours les bienvenus à l’occupation. Mais pour le moment pas aux concerts et aux initiatives. Pas encore. Pour le moment ça ne sert à rien et nous vous ferions peut-être passer un mauvais message. Ici la lutte est maintenant solide. La solidarité du territoire est débordante. L’assemblée permanente améliore de jour en jour son organisation. Les soutiens s’organisent. Les délégués des autres entreprises et les organisations syndicales sont à nos côtés.

Actuellement, l’enjeu n’est pas d’apporter d’autres forces ici. L’enjeu est d’étendre la lutte, là où vous vous trouvez. Mettez l’argent dans les grèves, dans les véhicules pour rejoindre les manifestations nationales, dans les tracts à distribuer où vous vous trouvez.

Si ça passe ici, ça passera partout ailleurs. Il s’agit d’un conflit national. Nous ne pouvons pas faire confiance à la partie adverse. Nous pointons du doigt le Gouvernement.

C’est difficile, mais pas impossible.

19 juillet, à Santa Croce

Ils ont fui un vendredi matin en usant d’un stratagème. Ils ont fui le territoire comme des voleurs, après nous avoir donné un congé collectif en disant qu’il y avait une légère baisse du travail. Mais il est temps d’arrêter de parler de ces gens. Nous ne sommes pas là pour dire à quel point ils sont méchants. Si nous ne faisons que cela, nous avons déjà perdu. On ne peut rien faire contre la nature d’un charognard. C’est un charognard, on en prend acte et on passe notre chemin. Et nous les félicitons, parce que pour nous mettre dehors, ils ont tout calculé. Et nous disons même : nous faisons encore partie de leurs calculs. Eux ils ont anticipé notre indignation. Ils ont aussi calculé qu’il y aurait une mobilisation sur cette place. Peut-être pas qu’il y aurait tant de monde. Peut-être pas qu’il y aurait une grève générale. Peut-être qu’ils ne s’attendaient pas à ce qu’on occupe l’usine. Mais eux, ils nous ont étudiés et ils nous étudient encore. Et tant que nous continuerons à avoir recours aux belles paroles, nous ferons encore partie de leurs calculs. Nous ne sommes que des chiffres. Et nous, nous ne voulons pas être des chiffres ! Mais la vraie question que l’on se pose est celle-ci. Nous demanderons l’annulation des licenciements. Mais que se passera-t-il s’ils refusent cette annulation ? Nous, nous avons parlé en agissant. Face à une usine fermée, nous avons dit « Non » avec nos corps. Nous sommes entrés. Et cela est un fait. Nous pourrions faire repartir l’usine à n’importe quel moment et la faire fonctionner plus et même mieux qu’avant. Mais actuellement notre question est adressée au gouvernement et aux institutions. Nous avons empêché la délocalisation grâce aux instruments dont nous disposons, c’est-à-dire nos corps. Mais vous, quels instruments avez-vous pour empêcher la délocalisation ? Si vous n’avez pas d’instruments, il est juste de déclarer qu’aujourd’hui l’État et le gouvernement sont impuissants. Et s'ils ne sont pas impuissants, alors ils sont complices. Et à certains moments l’impuissance et la complicité coïncident. Parce que si toi tu ne te donnes pas les moyens d’être « puissant » face à un fait de ce genre, alors tu deviens complice.

Vous, où vous situez-vous dans leurs calculs ? Parce que cette fois-ci nous ne pouvons nous permettre de rester dans leurs calculs. Nous, 500 personnes, mas aussi le territoire qui nous a soutenus. Nous voulons préciser quelque chose. Le mail de licenciement, quelqu’un l’a écrit au nom de l’administrateur délégué de Melrose, le fonds financier qui contrôle GKN. Mais ce mail est composé de toutes les lois qui ont massacré le monde du travail ces vingt dernières années. Et cela, nous ne pouvons l’ignorer.

Autre chose. Nous sommes fragiles. Notre colère est un mélange d’émotion et de fragilité. Nous nous mettons parfois à pleurer. Et nous ne savons même pas si nous pleurons de colère, d’émotion, d’adrénaline ou de désespoir. Nous sommes fragiles. Mais nous resterons là, tant qu’il faudra, tant qu’on en aura la force. C’est ce que nous chantons aussi. Mais si vous pensez que la partie se joue seulement devant les portes de l’usine GKN alors nous avons déjà perdu, parce que ce scénario est déjà trop connu. À un certain moment nous serons dans un désespoir économique à cause d’eux et ils nous demanderont si nous préférons le chômage ou l’argent. Et à ce moment-là ce sera l’histoire de toutes les luttes qui ont échoué, qui font partie de nous.

Nous sommes Elettrolux, nous sommes Beckaert, nous sommes les miniers sardes, nous sommes Alfa Romeo de Arese, nous sommes Termini Imerese. Nous sommes la Fiat. Parce que nous étions la Fiat et que 85 % de notre production était pour FCA. Et donc il faut que Stellantis nous dise ce qu’ils veulent faire ou ne pas faire des usines FCA de Melfi, Pomigliano et Cassino. Nous ne nous faisons pas d’illusion, nous ne pensons pas être plus courageux, plus intelligents, plus en colère que ceux qui nous ont précédés. Si d’autres ont échoué, nous risquons d’échouer nous aussi. Mais peut-être que ce sera différent cette fois-ci, si nous sentons que les autres sont avec nous, si nous portons toutes leurs luttes en nous, si nous apprenons des leçons qu’ils nous ont données. Puis, ce qui doit arriver arrivera. La seule chose que nous avons à craindre c’est qu’ils nous ôtent notre dignité.

Ces derniers jours, beaucoup de journalistes nous ont demandé de raconter nos histoires. Racontez-les, recueillez-les. Mais il y a un hic dans tout cela. L’histoire que nous pouvons raconter, l’histoire du gars qui se retrouve au chômage, de sa femme enceinte et de leurs deux enfants est en réalité aussi l’histoire des travailleurs de McDonald qui se sont fait licenciés… Nos histoires ne sont pas différentes de celles de millions de personnes qui ont perdu leur travail durant la pandémie… Vous ne devez pas raconter nos histoires seulement parce que nous faisons plus de bruit, parce que cela ne fera que nous diviser, nous et les autres travailleurs qui, eux, ont été licenciés dans le silence. Racontez nos histoires. Mais nous, nous ne sommes pas là pour raconter nos histoires, mais pour écrire l’histoire. Parce que parfois il y a de sombres années. Mais, un jour, elles prennent fin. Nous ne savons pas si ce jour est arrivé. Mais nous savons que nous avons l’obligation d’essayer de nous soulever. De transformer cette lutte en une mobilisation générale. Parce qu’autrement, nous ne pourrons pas nous sauver.

Florence, fais sonner la Martinella1 pour annoncer le début de lutte, qu’il faut se libérer. Soulevons-nous ensemble !

20 juillet

Depuis le premier jour de l’assemblée permanente de l’usine, nous avons été dépassés par la solidarité. Tout le territoire est venu en soutien à l’usine, l’entourant et la défendant.

GKN est devenue, malgré nous, une affaire politique et nationale. Parce que nous sommes les derniers d’une longue série de licenciements et de délocalisations. Parce que potentiellement nous sommes les premiers d’une nouvelle série de fermetures qui adviendront avec la fin du gel des licenciements, mis en place au début de la pandémie. Parce que nous sommes une usine avec des commandes et des machines neuves. Parce que nous sommes une usine avec un taux de syndiqués important et une bonne organisation interne.

Si ça passe ici, donc, ça passera partout ailleurs : une multitude de forces de différentes catégories professionnelles doit être convaincue, des ouvriers aux travailleurs du bâtiment, en passant par ceux du commerce et de la logistique, jusqu’aux journalistes et aux psychologues.

Mais ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. L’occupation est solide et la lutte continue à se diffuser. Elle doit se diffuser encore. Parce que le gouvernement doit avant tout dire ce qu’il compte faire si le fonds financier n’annule pas les licenciements. S’il n’existe pas d’instruments législatifs pour empêcher la fermeture de l’usine, ces instruments doivent être créés. Ainsi, non seulement l’histoire de notre lutte changera, mais aussi tout un pan de l’histoire du pays.

C’est pour cela que nous avons besoin de voir la solidarité nationale que nous avons reçue se concrétiser en chair et en os à la manifestation nationale qui se tiendra devant l’usine ce samedi 24 juillet à 9 h 30.

24 juillet, devant les portes de l’usine GKN

Vous remercier serait trop peu… c’est pourquoi non ne le faisons pas. Nous vous remercions en vous regardant dans les yeux, nous nous comprenons et nous vous remercions avec la chair de poule. Nous n’avons donc pas besoin de dire des mots de remerciements. En revanche, il faudrait parler de la Covid-19 pour commencer cette intervention. Nous avons lutté pendant le premier confinement pour pouvoir rester chez nous en sécurité. Nous avons lutté pour essayer d’imposer des protocoles anti-contagion dans les entreprises, dans le respect du Texte unique sur la sécurité2. Et cela nous pèse tant, tellement, d’avoir dû appeler à manifester sur place (parce que les cortèges ont été interdits), sachant que certains d’entre nous pourraient tomber malade, sachant que nous pourrions contribuer à l’augmentation des contagions. Cela nous pèse tellement, mais nous, nous ne prenons pas cette responsabilité : nous nous retrouvons dans cette situation parce que quelqu’un a décidé qu’une mesure de la pandémie comme le gel des licenciements devait prendre fin…

Et nous l’avons toujours dit, depuis le début de la pandémie. Nous l’avons dit : si je peux travailler en sécurité, je dois pouvoir organiser des assemblées syndicales en sécurité et pouvoir faire la grève en sécurité. Parce que nous n’acceptons pas la suspension — unilatérale — des droits syndicaux et démocratiques au nom de la pandémie.

Et donc, si Melrose et les entreprises de ce pays peuvent licencier, alors les travailleuses et travailleurs de ce pays peuvent se réunir en assemblée permanente et peuvent organiser des cortèges parce qu’autrement ils instrumentalisent la pandémie.

Nous vous avons appelés à vous rassembler ici, devant l’usine, parce que nous avions besoin de vous voir en vrai, pas seulement à travers les écrans, les « likes » et les commentaires. Nous avions besoin de vous voir en chair et en os. Et nous savons que vous êtes bien plus nombreux. Aujourd’hui, tous n’ont pas pu venir ici, mais nous savons que vous êtes le fer-de-lance d’une solidarité bien plus importante.

Les questions, c’est nous qui les posons aujourd’hui. Vous êtes témoins de la situation : ça, ce que vous voyez là, derrière vous, c’est une entreprise, qui est en ce moment, de fait, aux mains des travailleurs. Le propriétaire, un fonds d’investissement financier, a travaillé pendant un an à la fermeture de cette usine. Il y a travaillé dans les moindres détails. Nous pourrions vous donner une longue liste de ces détails : en contournant des accords, des sentences du tribunal, en mentant, justement en mentant dernièrement à ses dirigeants, car le meilleur moyen de dissimuler est d’être complice sans le savoir, n’est-ce pas ? convaincu de dire la vérité, alors... il y a eu des heures supplémentaires pour lancer de nouveaux projets, de nouveaux business, de nouvelles cellules... nous pourrions vous raconter tant de choses.

Le propriétaire ne s’intéresse pas à cette entreprise. Nous, en revanche, nous l’avons construite, nous la connaissons comme notre poche et, en ce moment, l’entreprise est entre nos mains et nous pourrions relancer la production à n’importe quel moment. Et cela n’est pas un slogan : c’est un fait qui nous interroge tous.

Quand vous venez ici, vous nous demandez toujours comment nous allons. Tous, journalistes, militants de différentes luttes. Mais comment voulez-vous que l’on aille ? Nous sommes ici, debout, comme quelqu’un qui a pris un coup sur la gueule et qui a encore des bleus. Mais après avoir pris ce coup, on regarde autour de nous et on pense que nous sommes encore debout. Et tous les jours on vérifie pour voir si on est toujours debout. Et tous les jours on scrute le regard du collègue pour voir s’il est en train de céder, s’il est en train de perdre la tête, si ses jambes tremblent, si on peut le faire, si l’un d’entre nous au fond cédera, et quand il cédera. Tous les jours.

Nous, ici, nous pouvons continuer pendant des mois ou céder demain. Et tous les jours, nous nous levons avec cette idée en tête. Nous sommes emplis d’adrénaline. L’adrénaline redescend à certains moments et laissant place à la fatigue… voilà comment nous nous sentons. Mais malgré tout cela, nous essayons de trouver la lucidité de vous retourner la question.

Nous, voilà comment nous allons, et vous, comment allez-vous ? Vous tous, comment allez-vous ? Parce que c’est paradoxal. Nous, jusqu’au 22 septembre, nous savons que nous aurons un salaire. Et ensuite, il y aura le TFR3, il y aura aussi sûrement des accords. Parfois, ceux qui nous demandent comment nous allons vont bien plus mal que nous. Parce que peut-être qu’ils ne nous le disent pas, mais ils ont des contrats précaires qui expirent cette semaine. Peut-être que le journaliste qui m’interviewe ne le dit pas, mais il se fait 5 euros par papier. Nous, nous n’avons jamais travaillé à la pièce et nous ne travaillerons jamais sous cette condition. Donc c’est nous qui vous le demandons : comment allez-vous ? Êtes-vous prêts à continuer ? Jusqu’à quand accepterez-vous tout cela ? Pour nous, il s’agit d’un licenciement de masse, dans votre cas, peut-être que cela fera moins de bruit, peut-être qu’il s’agit d’une « expiration de contrat », peut-être d’un « contrat de mission ». Et alors, nous vous le demandons : comment allez-vous ?

Parce que pour nous, tout a été très clair, tout de suite, dès le début : il s’agit d’un conflit national et politique. Et non pas parce que nous voulions nous mettre à la politique, mais parce que lorsqu’un fonds financier s’enfuit et que tu n’as pas de contrepartie et que les travailleurs font tenir l’entreprise, alors on montre du doigt le fonds d’investissement qui s’enfuit, Stellantis, qui a donné les ordres, contre les institutions. Parce que, évidemment, on devra dire que s’ils ont fait tout cela, quelqu’un leur a permis de le faire.

Mais une entreprise ne peut faire bouger les rapports de force d’un pays. C’est pourquoi nous vous demandons : où voulez-vous aller ? Et combien d’essence avez-vous ? Parce que si demain une grève générale est lancée d’ici et que nous décidons que notre grève tiendra jusqu’au bout, tous les samedis — les samedis de la colère ouvrière — nous l’avons, nous tous, ici présents, sur cette place, l’essence pour faire cela ?

Quand le gouvernement fuira à nouveau, et que nous le convoquerons à nouveau, aurons-nous l’essence pour être le double, le triple ? Voilà la question que nous vous posons. Et ce que nous faisons dans notre usine, pouvez-vous le faire sur votre lieu de travail ? C’est cela le sens du mot d’ordre « Soulevons-nous ».

Nous vous avons donné rendez-vous ici pour que vous soyez témoins d’une opération lâche. Et nous vous le disons directement qu’il s’agit d’une opération lâche. L’opération est celle-ci (et tout a été calculé) : l’usine ferme, les méchants de Melrose, où va le monde ?, GKN ne ferme pas, tous le disent, les journaux le disent, le ministre le dit… non, en réalité le ministre ne le dit pas, la région le dit, etc., mais, pendant ce temps, tout cela ne se traduit pas en quelque chose de concret. Et donc, cinq cents personnes sont laissées sur le carreau. Pendant ce temps, les jours passent… et vous savez comment cela se finit quand les jours passent ? Un jour, ces personnes, prises de désespoir, de découragement, de fatigue, voteront elles-mêmes la fermeture de l’usine !

C’est la chose la plus lâche qui existe. Parce qu’un jour peut-être nous allons céder, dire oui, on ne peut rien faire d’autre que d’accepter quatre sous et s’en aller en paix, reprendre le cours de nos vies. Finalement, tout le monde dira que GKN n’aurait pas dû fermer, mais que c’est eux, les travailleurs qui l’ont fermée tous seuls. Le crime parfait ! Et nous devrions rentrer chez nous avec le sourire, et être reconnaissants des quelques sous de l’indemnité de licenciement. C’est une opération lâche. Et si nous n’avons pas la force de l’empêcher, nous devons le dire tout de suite. Voulons-nous que cette usine soit fermée à cause de notre fatigue ? Comme ça ils pourront dire qu’ils n’y sont pour rien, que nous l’avons fermé tous seuls.

Nous avons reçu des paroles et des actes de la commune de Campi. Au niveau régional, nous avons reçu une proposition assez claire qui parle de continuité productive, mais il nous manque les actes. C’est pourquoi nous rappellerons à la région qu’il faut transformer ces paroles en actes, et nous dire de quels actes il s’agit. Au niveau gouvernemental, pour le moment, nous n’avons ni les paroles ni les actes. Ni les paroles ni les actes. L’autre jour le Ministre des Relations avec le Parlement, Federico D’Incà, a dit la même chose que Melrose. Parce qu’à Melrose, ils n’envoient pas un mail qui te dit simplement : je te licencie, je te vire, je t’étripe. Ils trouvent le moyen de te renvoyer chez toi avec le sourire. Ils disent vouloir diminuer l’impact social en prenant des décisions qui, à les écouter, semblent inévitables. C’est aussi la position du gouvernement. Seulement, Melrose le fait avec un mail et le gouvernement est en train de penser à réécrire ce mail et à le transformer, peut-être/avec un peu de chance, en deux mois de négociations épuisantes.

Et le problème ce n’est pas non plus qu’ils veulent nous renvoyer chez nous. Ni comment ils le font. Parmi toutes les horreurs que Melrose nous a faites, au cours des trois dernières années... en se foutant bien de notre gueule... le mail est la seule chose honnête qu’ils aient faite… Au moins, comme ça on arrête de se foutre de notre gueule. Ce mail a été finalement un acte de sincérité, de vérité. Ils ont ainsi révélé leur vraie nature. Trois jours avant, à la table de négociation, ils nous disaient que tout allait bien, qu’il n’y avait pas de crise et que peut-être même en septembre ils allaient embaucher deux gars de plus. Donc nous ne craignons plus qu’on se foute de notre gueule. Notre problème c’est de renvoyer le mail à l’expéditeur !

Regardons-nous dans les yeux : c’était une grande manifestation, mais beaucoup d’entre nous se connaissent. Nous reconnaissons les banderoles, les groupes politiques qui sont venus nous apporter leur solidarité — certains d’entre nous y militent ou y ont milité — nos idées politiques et syndicales sont connues (certains d’entre nous, par exemple, sont membres de l’Opposition à la Cgil). Nous ne voulons pas instrumentaliser cette lutte pour de nos petites histoires, pour aller marquer un point dans le débat. Ça, c’est de minoritarisme. Et cette lutte ne peut se permettre le minoritarisme.

Nous ne gagnerons que si nous tous, avec nos limites, nos différences, nous cessons d’être minoritaires. Parce que l’enjeu de cette lutte, ce n’est pas venir dire, par exemple avec un tract, que nous voulons la nationalisation et que le dégel des licenciements est une catastrophe, et aller réclamer la démission de celui-ci ou celui-là… nous voyons plus loin que cela. Tout ça, cela appartient à notre passé. Maintenant, c’est notre présent et notre futur qui comptent. Et ce présent et ce futur se jouent aujourd’hui, ils se jouent en faisant progresser la lutte, pour qu’elle fasse changer les rapports de force de ce pays. Et c’est une chose extrêmement difficile, quasi impossible. Nous le savons. Nous ne pensons pas en ce moment en termes de victoire ou de défaite parce que cela nous rendrait fous. Nous nous sommes demandé s’il fallait appeler à manifester aujourd’hui. À présent, c’est fait. Et à deux heures cinq, à trois heures, à trois heures cinq, nous nous demanderons s’il faut organiser une prochaine action tous ensemble. C’est-à-dire : si tous ceux qui sont présents aujourd’hui essaient avec nous de renforcer ce processus, de dire qu’il faut élargir, qu’il n’y a pas de limite à atteindre, peut-être pourrons-nous gagner. Peut-être… peut-être, parce que — nous l’avons dit dans notre slogan — on perd toujours, à part les quelques fois où l’on gagne. Et quelques-uns gagnent de temps en temps, heureusement, mais, parce que ces victoires, justement, sont si rares, elles réclament beaucoup d’efforts et souvent, elles changent le cours de l’histoire. C’est la vérité, peut-être qu’il ne s’agit que de la petite histoire, mais elles la changent tout de même.

Nous sommes tous concernés par ce processus, si vous voulez faire partie du minoritarisme, faites comme vous voulez. Nardella, le maire de Florence est venu, Giani le président de la région aussi, nous n’avons aucun problème si quelqu’un d’autre veut venir. Nous, ici, nous les accueillons toutes et tous (nous sommes allés parler avec un curé qui nous a dit que les usines devraient appartenir aux travailleurs et non aux patrons… nous voyons de tout, nous !).

Si vous ne voulez pas tendre la main dans cette lutte-là, mais que vous voulez continuer à tenir le rôle de la minorité, avec des mots d’ordre plus justes, mais qui ne font pas bouger les choses d’un millimètre… Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous dise ? Que dans une société différente, l’État prendrait en main la situation ? Si vous voulez, nous pouvons le dire, c’est ce que nous pensons… vous voulez qu’on le dise ? Nous pouvons le dire… Mais est-ce que les rapports de force sont là, aujourd’hui, pour l’imposer, oui ou non ? Parce que nous, nous sommes habitués à une chose, en tant que délégués syndicaux : si nous tenons une assemblée avec la plateforme en lutte, nous savons que derrière nous avons les rapports de force pour l’imposer. Parce que si nous proposons un ordre du jour qui demande la réduction du temps de travail et que nous l’amenons en assemblée, les travailleurs sont les premiers à dire « mais, excusez-nous, avec quel rapport de force va-t-on l’imposer ?

Et donc aujourd’hui, en avant, et renversons les rapports de force. Et si ces rapports de force ne se renversent pas, évidemment, nous devrons nous renforcer par une gestion de l’occupation plus stable, prouver que l’on peut résister comme le « village d’Obélix » assiégé.

Nous sommes le village d’Obélix — d’ailleurs, Zerocalcare a fait sur nous une très belle bande dessinée inspirée d’Astérix — nous sommes le village d’Obélix. Et vous savez comment cela commence, je ne sais pas si vous vous en souvenez : « Toute la Gaule est occupée par les Romains… Toute ? Non ! Un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur. »

Donc, le petit village il existe déjà, il a sa potion magique, ses druides… ce que nous voulons dire c’est qu’il faudrait la reconquérir, cette Gaule, et aller à Rome, aller à Rome et y porter cette mobilisation pour qu’elle devienne nationale. Si par la suite les grandes organisations de masses du syndicalisme veulent aussi le faire, ils sont les bienvenus ! Bienvenue à eux ! parce que c’est ce qu’il arrivera…

À suivre...


  1. Tocsin de Florence, symbole de la Résistance (NDT) ↩︎

  2. Texte sur les mesures de sécurité à mettre en place sur les lieux de travail (NDT) ↩︎

  3. Indemnité de départ (Trattamento di Fine Rapporto) (NDT) ↩︎