Soulevons-nous - Journal collectif d’une lutte ouvrière (et pas que) 1/16

Nous lançons une série de publications sous forme de feuilleton de Soulevons-nous, Journal collectif d’une lutte ouvrière (et pas que) à l'occasion d'une discussion le 22 février avec Francesca Gabriellini et Alberto Brunetti éditeur de l'ouvrage en Italie. Cette traduction a été réalisée dans le cadre de l'ANR Theovail. Pour commencer, nous publions l'avant-propos et les premières pages du journal de cette lutte encore en cours. Nous publierons l'intégralité de la traduction sur strike.party

Crédit - Antonio Pronostico / Edizioni Alegre

Avant-propos - Un livre de la classe ouvrière, tout à coup et sans préavis

Le livre que vous avez entre les mains est le montage chronologique d’une série de commentaires, tracts, messages, discours et réflexions, témoignage de nos huit mois de lutte et d’assemblée permanente. Cela ne ressemble pas à un texte structuré, mais plutôt à un travail de menuiserie improvisé. C’est ce qui fait à la fois sa faiblesse et son originalité.

Nous avons décidé de le publier alors que l’on prépare la manifestation du 26 mars 2022. Nous écrivons ces quelques lignes d’avant-propos pour cette édition, qui sera distribuée pour la première fois dans la rue le 26 mars, à un moment charnière entre ce qui a eu lieu et ce qui pourra advenir. La lutte GKN n’est pas terminée et, comme à chaque fois, pourrait prendre fin demain ou durer encore des années. La situation est complexe, mais au fond, cette complexité, nous l’avons bien méritée. Jusqu’à présent, nous avons gagné un futur qui doit encore s’écrire.

Les huit mois qui viennent de s’écouler ont bien existé. Et ces huit mois, la capacité d’un collectif d’usine à résister et d’une entreprise à s’autogérer, aujourd’hui, nous les mettons à la disposition de tous ceux qui veulent y puiser de l’inspiration, une méthode, du courage.

Ce qui pourrait se passer dans le futur au contraire dépendra de la capacité, de nous toutes et tous, à organiser une mobilisation qui ne soit pas seulement construite dans l’urgence des licenciements sortis de nulle part, ou pour la fin d’un contrat de sous-traitance ou précaire non renouvelé. Une mobilisation en dehors de l’état d’urgence permanent, qui impose son agenda à la lutte. Une mobilisation construite à partir du besoin urgent de changer les rapports de force dans la société, de conquérir des droits et des salaires dignes, de reprendre l’école, la santé et les transports publics, d’obtenir la justice climatique et sociale. Afin de remettre la classe ouvrière, ses instances et son imaginaire au centre du discours politique.

Cela ne dépend pas de nous, mais de nous tous. « Soulevons-nous » est un appel à la responsabilité et au collectif.

Où il y avait du « je », nous mettrons du « nous ».

14 mars 2022

Journal (9-12 juillet)

9 juillet 2021

Nous ne pouvons pas répondre au téléphone, trop d’appels téléphoniques et de messages. Nous sommes en assemblée permanente parce que ce matin on nous a informés de la fermeture immédiatement de l’usine GKN de Florence. Avec effet immédiat. Un mail, plus de 450 familles sur le carreau. Voilà qui nous avons en face. Voilà leur violence. Vous aurez prochainement des nouvelles et une invitation à l’action. Nous aurons besoin de toute votre force et votre solidarité.

9 juillet

Ce soir à 21 h, ce tiendra une assemblée de toutes les personnes solidaires devant les portes de GKN, via Fratelli Cervi 1, à Campi Bisenzio.

10 juillet

Dans un premier temps, ils ont licencié par mail les précaires en intérim. Et nous nous sommes mis en grève. Mais au fond, nous ne pensions pas pouvoir gagner. Puis, ils s’en sont pris à Texprint et ont fermé Adil. Et nous avons fait la grève parce que la situation était terrible. Mais nous pensions retourner travailler, avec des protections et garanties. Et maintenant c’est nous qu’ils licencient. Non ne pouvons pas nous permettre de perdre, il n’existe pas d’autres emplois pour nous. Maintenant, pour le bien de toute la classe ouvrière de ce pays, et dans l’espoir d’une victoire, nous vous demandons de ne pas faire les mêmes erreurs. Soulevons-nous.

11 juillet

Actuellement nous sommes dans l’usine. C’est notre maison et nous ne partirons pas. Personne n’en sortira. Actuellement tous les travailleurs sont présents. Tous les postes de l’usine sont représentés : personnel administratif, ouvriers, caristes, personnel de nettoyage. Nous pourrions refaire partir l’usine à n’importe quel moment. Et même produire mieux qu’avant. Nous avons été licenciés de manière atroce. Mais ce n’est pas ça le problème. Le problème, c’est que nous sommes les derniers d’une longue liste de licenciements, de délocalisations et d’abus. Qui parfois ont fait du bruit, parfois non. Comme les millions d’emplois supprimés pendant la pandémie. Et nous risquons d’être les premiers d’une longue série. Nous faisons partie d’une grande usine, neuve, efficace. Mais surtout, nous sommes une usine avec une organisation syndicale forte et déterminée. Et si ça passe ici, ça passera partout ailleurs. Et ça, tout le territoire l’a bien compris. Il s’est soulevé pour nous défendre et nous prendre dans les bras. Parce qu’ici, ce n’est pas seulement nos 500 postes qui sont en jeu. Ce qui est en jeu, c’est le travail de tout un pays. C’est pourquoi GKN est une affaire politique. Nous, nous restons là. Nous avons empêché la délocalisation. Les institutions nous ont répondu avec paroles en apparence fortes. Mais aux paroles doivent succéder les actes. Et s’il n’existe pas d’instruments législatifs pour faire en sorte que cette usine ne ferme pas, nous devons évidemment les créer, ces instruments. Nous avons invitons à la lutte. Lundi 19, nous organisons une grève provinciale générale. Le 24 juillet, il y aura une manifestation nationale qui témoignera de toute la solidarité que vous nous avez fait parvenir. Notre mot d’ordre vient de la Résistance florentine : « Ensemble, soulevons-nous ». Comme lorsqu’après une période sombre on décide que c’est l’heure du changement et qu’indignation imprévue te fait relever la tête. C’est pourquoi, ensemble, soulevons-nous.

12 juillet

Nous voulons faire le point sur certaines choses : Les travailleurs GKN ne sont pas 422. Ils sont plus de 500 parce que nous sommes tous ensemble : travailleurs internes et de la sous-traitance. Nous avons été licenciés de manière atroce et avec une violence psychologique impressionnante. Nous avons affaire à des personnes sans scrupule. Toutefois, se concentrer seulement sur la manière dont nous avons été licenciés c’est se concentrer sur la forme et non sur le fond. Parler de « l’affaire GKN » c’est presque se mettre au niveau de ceux qui veulent fermer l’usine. Mais c’est surtout mettre en danger tous les travailleurs de ce pays. Parce que cela nie implicitement que nous sommes les derniers d’une série, et les premiers d’une autre série de fermetures et de délocalisations. Si ça passe ici, ça passera partout ailleurs. Parce que nous sommes une grande entreprise et que nous sommes organisés. Alors, imaginez ce que ce sera pour les entreprises petites et moins bien organisées. Qui parle de compensations et d’indemnisations se met presque au niveau de ceux qui veulent fermer l’usine. Nous, nous sommes dans l’usine, celle-ci est notre maison, nous ne partirons pas d’ici. Ce qui adviendra malgré nous sera le résultat de notre désespoir économique, et certainement pas de la lutte. Mais l’objectif de notre lutte est seulement et uniquement de bloquer les licenciements. Ici et partout ailleurs. Le Ministère du Développement Économique (MISE) vient ici pour nous rencontrer. Les multinationales délocalisent, et nous, au contraire, nous demandons la délocalisation des négociations. Si le MISE a le courage de soutenir le regard d’une communauté fière et inébranlable. Notre lutte est liée indissolublement à celle de l’ex-Fiat, c’est-à-dire FCA Stellantis. Qu’attendons-nous pour mobiliser tout le secteur ? Nous remercions tous ceux qui nous apportent leur solidarité (les cercles Arci, les différents syndicats, les travailleurs, etc.). Merci, merci, merci. Nous ne pouvons répondre à tout le monde ni tous vous citer de peur d’oublier quelqu’un. La lutte sera longue. Ne nous oubliez pas lorsque l’attention des médias sera redescendue. Pour disposer d’un canal de solidarité plus pratique, une page de soutien sera créée. On vous transmettra les informations d’ici peu. Grève générale et cortège national : nous sommes en train d’étudier cela en ce moment. Nous vous tiendrons au courant.

Nous avons les larmes aux yeux, des milliers d’histoires humaines à raconter, mais aujourd’hui ce n’est pas de cela qu’il est question. Nous ne sommes pas de pauvres ouvriers renvoyés chez eux. Nous sommes dignité, fierté et résistance.

Faites-vous une faveur en rejoignant notre lutte.

Soulevons-nous.

À suivre...