La dictature minière en temps de démocratie électorale

Nous traduisons un texte portant sur la répression des opposant.es à l'extractivisme en Argentine en prévision d'un événement de soutien à ces luttes dans la province de Jujuy, une zone très riche en lithium appelée le triangle du Lithium et située entre l'Argentine, le Chili et la Bolivie.

Crédit - Susi Maresca

De Catamarca à Chubut, de puissantes entreprises violent les droits de l'homme avec la complicité des politiques institutionnelles. Ce qui rend l'extractivisme et la démocratie incompatibles. Notes depuis l'un des territoires sacrifiés d'Argentine.

L'affiche en carton peinte à la main que tient une femme traversant la place principale d'Andalgalá, dans la province de Catamarca, annonce : "La dictature minière, ça suffit !". D'autres affiches, portant la même légende, apparaissent au-dessus de la tête d'autres habitant.e.s qui, comme elle, participent à ce rite de dénonciation et de résistance qui se répète, comme chaque samedi, sur le territoire où a été ouverte la première mine à ciel ouvert du pays et où, aujourd'hui, un autre projet s'avance sur ses rivières ou - ce qui revient au même - sur sa survie.

Dictature. Ce mot. Le dictionnaire le définit comme le "régime politique qui, par la force ou la violence, concentre tous les pouvoirs sur une personne ou un groupe ou une organisation et réprime les droits de l'homme et les libertés individuelles". L'imaginaire collectif l'associe, douloureusement et immédiatement, aux coups d'État civico-religieux-militaires qui ont eu lieu, dans une cruauté extrême, entre 1976 et 1983 en Argentine.

Peut-être à cause des crimes aberrants du dernier coup d'État, entendre parler de "dictature minière" met mal à l'aise certains, suscite des controverses, voire choque d'autres. Cependant, dans ce mot hostile, les peuples et les assemblées socio-environnementales ont trouvé un moyen de nommer la toile du pouvoir économique (sociétés transnationales), politique (gouvernements) et judiciaire qui viole leurs territoires, leurs droits et leurs libertés pour favoriser les entreprises et les intérêts personnels. En pleine démocratie électorale.

Il n'y a pas de coup d'État qui initie cette dictature. L'absence de cet acte fondateur est peut-être l'une des raisons pour lesquelles cette prise de pouvoir illégale, camouflée par des manifestations périodiques de suffrage et des discours creux, est invisible.

Parler de dictature, c'est aussi souligner l'absence de démocratie ou de l'idéal qu'elle représente : division des pouvoirs, garantie des droits fondamentaux, primauté de la loi et souveraineté nationale. Parler de dictature, c'est donc dénoncer la corruption des pouvoirs étatiques, la violation des droits de l'homme, le mépris systématique des lois et la perte de souveraineté sur les territoires.

Les restes de la dictature

Le rétablissement de la démocratie en 1983 n'a pas signifié l'élimination immédiate de toutes les pratiques violentes que l'État militaire avait naturalisées. Certaines se poursuivent subrepticement, d'autres sont masquées par une prétendue légalité et même applaudies par des responsables "démocratiques", ce qui rend ce système encore plus pervers. La violence armée exercée par l'État pour réprimer les manifestations sociales est la plus évidente de ces pratiques.

Des balles, des matraques, des gaz lacrymogènes et même des chiens d'attaque dressés ont été lancés sur des hommes, des femmes et des enfants non armés qui bloquaient une route communautaire en février 2010 pour empêcher deux projets miniers de les chasser de chez eux à Andalgalá.

Crédit - Guillermo Castro

La loi est une toile d'araignée

"Elle n'est pas redoutée par les riches,/ elle n'est pas redoutée par les responsables,/ parce qu'elle touche la grande cible/ et ne fait que chatouiller les enfants". C'est ainsi que "el moreno" définit la loi, ce personnage anonyme, identifié uniquement par sa peau noire, qui affronte Martín Fierro dans une farce. Bien que publiés il y a 150 ans, ces vers n'ont pas perdu leur validité. La balance penchée et le bandeau baissé, la magistrature accélère ou classe les affaires, durcit ou supprime les peines, selon le plaignant.

À Andalgalá, une centaine de dossiers ont été ouverts contre des personnes qui s'opposent à la cession d'eau pour l'exploitation minière. Trois de ces affaires font actuellement l'objet d'une mise en examen. À Chubut, cinq membres de l'assemblée ont failli être jugés pour avoir entravé les transports publics lors des manifestations déclenchées lorsque le corps législatif a rejeté, sans aucune audition, l'initiative populaire qui, avec 30 000 signatures, demandait l'interdiction des méga-mines. À Jujuy, en un temps record, la justice a inculpé, jugé et condamné un avocat pour les délits présumés d'incitation à la protestation et de sédition.

Cette agilité contraste avec la sclérose du système judiciaire face aux entreprises minières ou leurs fonctionnaires serviles. À San Juan, des procès sont toujours en cours contre d'anciens fonctionnaires pour le déversement dans cinq rivières de plus d'un million de litres de solution cyanurée en 2015. Aucun dirigeant de Barrick Gold ne figure sur la liste.

Crédit - Nicolás Pousthomis

À Tucumán, deux anciens cadres de Minera Alumbrera jouissent de l'impunité dans un procès concernant la contamination du réservoir Salí-Dulce. Alors que tout était prêt pour le procès - curieusement - le même procureur qui l'avait préparé a demandé le renvoi de l'un des accusés.

À Andalgalá, les machines du projet MARA (Glencore) avancent sur les rivières et les glaciers, tandis que les procès intentés pour les arrêter dorment dans les bureaux de Comodoro Py et de la Cour suprême de justice.

Détentions illégales et torture

Dans une décision qui ressemble davantage à un argument de la défense, la juge Karina Breckle a acquitté il y a quelque temps quatre policiers accusés de violences à l'encontre de membres de l'assemblée de Chubut lors de leur arrestation en décembre 2019. La menace de transformer les victimes en "un autre Santiago Maldonado" a été minimisée dans un pays qui a compté 30 000 "desaparecidos" en période de dictature et plus encore en période de démocratie.

En avril 2021, douze personnes ont été privées de liberté pendant quinze jours à Andalgalá. Elles n'avaient pas de casier judiciaire et ne risquaient pas d'être poursuivies. Il n'y avait aucune preuve les incriminant pour d'autres actes que la marche pour protester contre l'augmentation du nombre de foreuses dans le bassin fluvial.

L'usage excessif de la violence policière contre les corps et les maisons, les conditions inhumaines de détention en pleine pandémie et la torture psychologique ont été signalés au bureau du procureur général de la province et à diverses organisations de défense des droits de l'homme. Elles attendent toujours des réponses.

La violence récompensée

Non seulement il n'y a pas de condamnation pour les auteurs de passages à tabac et de fusillades mais il y a des récompenses pour ceux qui les ordonnent ou les approuvent depuis le confort de leur bureau.

En décembre 2019, José Eduardo Perea (Frente de Todos) a reçu un cadeau de Noël paradoxal : une nomination en tant que superviseur par le ministère de la Justice et des Droits de l'homme. Perea, l'ancien maire d'Andalgalá et responsable politique de la répression de 2010, celui-là même qui dans une interview avait anticipé le passage des machines vers le réservoir d'Agua Rica avec une menace explicite : "qui touche, prend un coup". Et c'est ce qui s'est passé : les tirs et les coups n'ont pas fait de distinction entre les femmes et les hommes, les personnes âgées, les adultes et les enfants.

Crédit - Nicolás Pousthomis

Mariano Arcioni, qui a accédé au poste de gouverneur de Chubut en prononçant un discours contre les méga-mines a, une fois au pouvoir, promu la loi de zonage minier et ordonné la répression qui a maintenu Chubut dans un quasi état de siège pendant une semaine de manifestations. Sa trahison de la volonté du peuple a également été récompensée : l'Unión por la Patria l'a inclus comme pré-candidat dans ses listes et il occupera désormais un bureau au Parlasur.

Les échos des répressions à Jujuy ne s'étaient pas encore éteints lorsque Horacio Rodríguez Larreta a proposé Gerardo Morales comme pré-candidat à la vice-présidence de Cambiemos. Il n'a pas eu cette chance et l'ODEPA l'a écarté.

À Catamarca, des répressions ont eu lieu sous les gouvernements d'Eduardo Brizuela del Moral (radicaliste), de Lucía Corpacci et de Raúl Jalil (péroniste). À Mendoza, il n'y a pas eu de division entre les partis, même lors du vote sur l'amendement de la "loi sur la protection de l'eau".

Comme on peut le constater, il n'y a pas de division entre les partis en ce qui concerne l'extractivisme. Le clivage sépare plutôt les dirigeants et les élus - quelle que soit leur appartenance politique - des peuples en résistance.

La loi : couper et coudre

La législation répond également aux caprices des entreprises et des gouvernements. S'ils s'en mêlent trop, un élu complaisant avec le lobby minier prend le relais. C'est ce qui s'est passé avec la loi nationale sur les glaciers, à laquelle Cristina Fernández Kirchner a opposé son veto en 2009 : la loi 7722 que l'Assemblée législative de Mendoza a assouplie en 2019 ou l'ordonnance 029/16 que la Cour de justice de Catamarca a déclarée anticonstitutionnelle en 2020. La pression sociale a permis de rétablir les deux premières : la dernière attend toujours la décision de la Corte Suprema de Justicia.

D'autres fois, rapidement et sans le rendre public, les législateurs présentent et adoptent des lois qui favorisent l'activité. C'est ce qu'il s'est passé avec la loi sur le zonage minier à Chubut - finalement révoquée - et c'est ce qu'il se passe avec un ensemble de lois à Río Negro.

Résister dans la tempête

Extractivisme et démocratie ne sont pas compatibles : là où la méga-mine avance, les droits de l'homme reculent. C'est pourquoi, comme le dénoncent les assemblées socio-environnementales, la méga-mine ne peut se faire que par la répression.

Crédit - Susi Maresca

Il n'y a pas de démocratie quand un peuple est privé de ses droits humains d'accès à l'eau ou à vivre dans un environnement sain. Il n'y a pas de démocratie lorsque leur sacrifice et leur destin sont décidés par des bureaux hermétiques et distants. Il n'y a pas de démocratie lorsqu'un peuple se voit refuser l'autodétermination.

Mais il n'y a pas non plus de défaite lorsqu'il y a lutte. De même qu'en pleine dictature militaire, les mères et les grands-mères affrontaient la violence des fusils avec leurs mouchoirs blancs, aujourd'hui, sur les places, dans les rues et sur les routes, d'autres mères, d'autres grands-mères, leurs enfants et leurs petits-enfants se battent avec leurs bannières, leurs drapeaux et leurs chants contre cette nouvelle dictature déguisée.


Traduction de Strike. Texte initialement paru le 9 décembre 2023 sur Revista Citrica