"Fumée Blanche"

Ce texte présente l'enquête sur la question du crack à Paris et sur le rôle de la lutte contre la drogue dans les nouveaux paradigmes de prise en charge des populations jugées excédentaires.

Fumée blanche devant la chapelle Sixtine

La papauté s'enrichit, à Stalincrack ça crache de la fumée blanche et ils disent tous habemus papam

Plusieurs hypothèses de départ

Comment la question de la répression et la prise en compte de cette problématique du commerce du crack sur Paris rencontre un nouveau paradigme de prise en charge publique, sécuritaire et médico-sociale des populations jugées comme excédentaires à la métropole ? Et comment cette thématique rencontre des soucis de gestion de la métropole liés à des événements centraux de la vie urbaine, comme la question des Jeux Olympique qui vont se dérouler dans le courant de l’année 2024 en région parisienne ? Est-ce qu’il serait possible de saisir les nouvelles orientations des autorités pour gérer la question des drogues et en quoi ces paradigmes peuvent avoir un lien avec les redéploiements sécuritaires et les dynamiques que nous constatons au sein d’une institution comme la police ?

Le crack à Paris cristallise tout un discours médiatique et politique du dysfonctionnement de l’État et permet donc un redéploiement des dynamiques de contrôle des populations jugées excédentaires, tout en nourrissant un discours de la peur démagogique qui oppose un « nous intégré » (honnêtes travailleur.ses et citoyen.nes) à une « faune de déclassé.es» asociale et dysfonctionnelle. Cette enquête permettra de saisir les paniques civilisationnelles et souvent racistes nous paraissant essentielles pour comprendre comment se construit un discours social sur les minorités et sur leur gestion quand elles sont considérées comme dysfonctionnelles. Nous partirons donc de l’hypothèse que cet objet d’étude est un poste d’observation idéal pour saisir les nouvelles formes de discours social et médiatique concernant les populations excédentaires, non intégrées aux régimes normés des rapports sociaux capitalistes.

Le crack véhicule de manière paradigmatique tous les stigmates sociaux liés à la problématique des drogues. Drogue par excellence de la marginalité, drogue des pauvres, elle cumule toutes les obsessions démagogiques que le citoyen.ne intégré.e associe aux drogues. Violence, pauvreté, déchéance, visibilité sociale. Il s’agira donc de comprendre en quoi la perception de cette drogue est comme un précipité du discours politique et médiatique du « problème social de la drogue ».

Nous essayerons ainsi de comprendre par notre enquête, au contact des personnes gravitant autour de cette question (associations promouvant la réduction des risques, acteur·rices médico-sociaux·les, personnels psychiatriques, psychologues, assistant.es sociaux.les, médecins, policier.es ?)les dynamiques récentes constatées dans la prise en charge de ces questions. Nous verrons s’il est possible de rentrer en contact avec des personnes directement concernées par cette question de la prise du crack, malgré la difficulté d’une enquête touchant au plus près une population soumise à une grande marginalité et souvent atteinte de toutes sortes de problèmes psychiatriques et victime d’un grand nombre de comorbidités.

Nous essayerons aussi de rentrer en contact avec les différents représentant.es ou acteur·rices de ce qui s’est constitué, depuis que le problème du crack touche la métropole, comme une politique des riverain·es, à savoir toute une nébuleuse d’associations de riverain·es, d’acteur·rices de terrain, essayant de s’organiser pour contrer les nuisances provoquées par l’installation d’un commerce du crack dans leur quartier. Il sera aussi intéressant d’essayer de comprendre les différentes dynamiques politiques, sociales et idéologiques qui traversent ce genre de subjectivités. Terrain propice à une politisation démagogique et sécuritaire, est-ce que ce genre de mobilisation est le laboratoire d’une nouvelle subjectivité d’extrême droite, centré sur la sécurité au quotidien d’une population intégrée en butte à l’anomie ? Il serait aussi intéressant de se demander s'il n’y a pas, dans ce genre de mobilisations, toute une dynamique de valorisation capitaliste de l’espace urbain (rôle des promoteur·rices immobilier·es, des petit·es et gros·ses propriétaires soucieux·ses de la valorisation de leur bien dans ce genre de mobilisations).·

Rencontrer des élu·es en charge de ces questions, notamment dans le cadre des différents plans anti-crack à Paris depuis 2019, aussi bien au sein de l’Agence Régionale de Santé (ARS), de la préfecture d’Ile-de-France et de Paris, de la préfecture de police, du parquet de Paris, de la Ville de Paris, et de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA). Notre impression, et c’est surement aussi une intuition à préciser à travers le processus d’enquête, c’est que ces différents projets de lutte contre le crack à Paris, rencontrent aujourd’hui une nouvelle dynamique et une plus grande volonté publique, en raison notamment de l’échéance des Jeux Olympiques à Paris, où la question des scènes ouvertes de consommation de crack dans le nord-est parisien, lieu où de nombreuses compétitions olympiques vont se dérouler, est de plus en plus considérée comme inadmissible. Il en va de l’image mondiale de la métropole parisienne. En ça, cette question rejoint d'autres thématiques liées notamment à la capacité, notamment sécuritaire, d’une ville à vocation mondiale comme Paris de gérer les grands événements du capitalisme mondialisé.

Toute époque élève sa figure du drogué.e privilégié.e. Du toxicomane poète à l'administrateur des colonies, jusqu'au jeune de banlieue ; indéniablement la figure privilégiée de notre temps. Mais il existe aussi une autre figure possible du « drogué.e» : le chef d’entreprise, le cadre dynamique, le conducteur de métro ou l’ouvrier.ère du bâtiment, sans parler d’autres catégories plus convenues (artistes, écrivain.es, journalistes, etc.). Mais quelque chose contrevient à l’image du drogué lorsque nous envisageons ces personnes bien intégrées qui s’adonnent à la drogue : c’est l’incapacité dans laquelle nous nous trouvons de concevoir qu’un individu qui consomme des stupéfiants en quantité importante puisse également mener, sans trouble majeur, une activité quotidienne exigeante qui ne soit pas totalement marquée par les immanquables ravages de la drogue (irresponsabilité, méfiance, ostracisme, clochardisation, etc.). Ces situations dans lesquelles des individus se débattent dans leur rapport privé au produit, sans que le monde extérieur n’en soit averti, que personne ne s’en doute ou ne s’en soucie, sont assez fréquentes.

Posons-nous donc la question : la drogue poserait-elle problème si elle n’était immédiatement associée à une série d’attentes socialement définies comme des indices de déchéance ? Ou si ses usages restaient totalement cantonnés au domaine privé ? Une des caractéristiques du « problème de la drogue » réside donc dans une certaine attente sociale définissant ce qu’est un.e drogué.e et ce qui constitue sa visibilité ? Cette visibilité, c’est celle qui nous permet de distinguer, dans la rue comme dans les circonstances banales de la vie quotidienne, l’apparence du toxicomane. Il paraît évident qu’en appliquant ces critères, on ne court guère le risque de détecter ces personnes bien intégrées dans le marché capitaliste du travail et pourtant droguées, mais qui s’arrangent pour contrôler l’administration de ses doses au cours de la journée et poursuivre ainsi une activité efficace

Ce qui fait le toxicomane, c’est donc essentiellement l'image sociale qui correspond à son repérage public ; et tout usage intensif de stupéfiants ne donne pas systématiquement lieu à ce repérage. Ce qui conduit à dégager une autre caractéristique de ce qui fait de la drogue un « problème » : la réaction sociale (celle des proches ou celles des organes de répression) et le jugement qui l’accompagne (qui ne porte pas sur l’abus de substances stupéfiantes en soi). Or, cette réaction et ce jugement dépendent de l’idée qu’un corps social a de ce que ferait « la » drogue dans son processus de désocialisation. Il est évident dans ces conditions que la question du crack remplit toutes les caractéristiques d’une drogue propice à la constitution d’un « problème social ». Drogue conçue comme une drogue de la déchéance, elle est de plus, dans ses usages posant « problème », fumée en extérieur, favorisant de véritables lieux de consommation et de vente ouverts. Une enquête visant à clarifier la question et la constitution du « problème de la drogue » et de la répression qui l’accompagne nécessairement quand nous l’envisageons sous cette catégorie de « problème », ne peut faire l’impasse sur la question du crack, tant ce produit catalyse tous les fantasmes qui permettent de stabiliser cette question des drogues sous une forme sociale. Nous viserons donc à clarifier les conditions de constitution de la question du crack comme un problème social paradigmatique de la question de la drogue quand elle est envisagée du point de vue de l'État.

Le crack représente donc l’objet d’étude parfait pour saisir les phénomènes sociaux et politiques que l’on regroupe sous le syntagme du « problème de la drogue ». Bien qu’il existe, malgré une certaine représentation commune, de multiples manières de consommer du crack, des plus intégrées dans le domaine de l’intime et n'entraînant pas de conséquences visibles dans l'espace public, aux plus exposées dans le domaine public, celles qui suscitent le plus les commentaires et les préoccupations des services sociaux, médicaux et répressifs de l’État, sont celles qui se déroulent dans des espaces ouverts, où une population, le plus souvent dans une extrême précarité, vient consommer le produit à même la rue dans ce qui est appelé des « scènes ouvertes de vente et de consommation ». La colline du crack à La Chapelle, la Rotonde à Stalingrad, le Parc Eole dans le 19ième, et pour le plus récent le parc de la Villette, autant de lieux où se réunit une population de « crackers » (consommateur de galette de crack vendue à l’unité) venant acheter leur dose à des « modous », doses qui, pour la majorité des consommateur.trices, sont consommées sur place. Point de fixation de toute une population en déshérence reconstruisant dans des espaces semi-tolérés par les autorités des communautés de réprouvé.es s’organisant tant bien que mal pour reconstruire du lien autour de la consommation de cette drogue.

Synthèse

Reprise des différentes questions

  1. Est-ce que nous pouvons repérer, à travers les différents plans anti-crack à Paris, un paradigme de prise en charge (médico-sociale, politique, sécuritaire) des populations jugées excédentaires de la métropole ?

  2. Comment s’articulent et se transforment les différents discours médiatiques, sociaux et idéologiques concernant un « problème social de la drogue », symptomatique de panique sociale et identitaire travaillé par des discours civilisationnels et bien souvent racistes ?

  3. Est-ce que nous pouvons déceler, par la médiation de cette question, des transformations d’une institution comme la police dans son rapport aux différents segments de la société, et notamment dans son rapport aux populations migrantes, racisées, « sans papiers » ?

  4. Nous pourrions élargir notre enquête en nous intéressant à l’augmentation du pouvoir et du rôle de contrôle social et répressif de la police dans ce contexte de « guerre contre la drogue » et se demander plus largement quelle pourrait être une nouvelle politique de la drogue au-delà de la répression et de la prohibition ? Ouverture sur les expériences politiques menées dans différents pays et dans différents contexte (Pays bas, Portugal, Suisse, New York)

Lieux d’enquête

  1. Personnes travaillant au contact des crackers (travailleur·ses sociaux·les (CAA·UD, CSAPA), psychologues, psychanalystes, psychiatres, médecins (hôpital Marmottan)

  2. Différents acteur·rices institutionnel·les ayant un rapport avec les différents plan anti-crack Paris (l’ARS, de la préfecture d’Ile-de-France et de Paris, de la préfecture de police, du parquet de Paris, de la Ville de Paris, et de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives)

  3. Les acteur·rices des différentes associations impliquées dans la réduction des risques (ASUD, Act Up paris, différentes personnalités impliquées sur les questions de la drogue)

  4. Les différents groupes qui se sont formés sur la question de la « défense de riverain·es » (la brigade des pères, groupe de riverain·es de la chapelle, du parc de la Villette, de Stalingrad)

  5. Journalistes qui traitent de ces questions dans différents médias

  6. Les consommateur·rices de cracks et les modoux sur les lieux de scène ouverte de vente et de consommation

Appel à contribution

Nous rappelons que cette enquête est ouverte à tous et toutes, si certaines personnes lisant ce texte de présentation veulent nous rejoindre pour y participer, iels peuvent nous contacter sur : enquete-militante@club1.fr. Nous serons ravi·es de travailler ensemble.