Faire grève en tant qu'infirmière : histoire d'une gréviste débutante
Nous publions une traduction de cet entretien publié par Notes From Below paru dans le 17e numéro, In and Against the Union. Ce texte décrit une réalité qui traverse de nombreux pays européens, en particulier après la crise hospitalière du Covid. Le secteur de la santé a été un des principaux secteurs où de nombreuses démissions ont eu lieu après 2020 (en France, au Royaume-Uni et en Italie au moins). Au delà de cette dynamique de démissions, on a aussi vu la combativité des travailleur·ses de la santé dont ce texte donne un aperçu au Royaume-Uni.
Je travaille comme infirmière dans une unité de soins post-opératoires. Nous ne devons nous occuper que de deux patients à la fois. Lorsque je dois faire sortir des patients de la salle de réveil pour aller aux salles de soins, je me sens tellement coupable d'emmener mon patient en haut. Quand j'y arrive, je vois des infirmièr·es au bout du rouleau parce qu'elles ne peuvent pas accepter un autre patient post-opératoire alors qu'il y a déjà quatorze patients pour une seule infirmière.
Je vois des infirmièr·es tomber comme des mouches, ne serait-ce que dans mon service. Iels ne changent pas de service ou d'hôpital, iels ne veulent tout simplement plus faire de soins infirmiers. En ce moment, le travail d'infirmièr·e est vraiment déchirant.
Fondamentalement, tout se résume à la rémunération. Les gens ne sont pas en mesure de vivre avec le salaire d'infirmièr·e. Le coût de la vie est trop élevé et le salaire n'est tout simplement pas viable. En fait, on peut être mieux payé en travaillant à temps plein chez Waitrose1. Je connais des infirmières qui dépendent des banques alimentaires pour survivre, c'est dire à quel point la situation s'est dégradée.
Lorsque j'ai suivi ma formation d'infirmière il y a plus de treize ans, nous percevions une bourse. Cela a permis de promouvoir les soins infirmiers et de faire en sorte que les infirmièr·es ne sortent pas de leur formation avec des milliers de livres de dettes. Aujourd'hui, les infirmières nouvellement diplômées doivent rembourser leurs dettes d'études et tenter de survivre à la crise du coût de la vie. Qui va s'en charger ?
La sécurité des patients est fondamentale, mais elle fait défaut uniquement parce que nous n'avons pas assez d'infirmièr·es. Nous n'avons pas assez d'infirmières parce qu'elles sont mal payées. C'est un cercle vicieux. Je suis convaincue à 100 % que personne ne se lance dans les soins infirmiers pour le salaire. Nous y allons parce que nous voulons faire la différence. Nous sommes des personnes bienveillantes, mais il faut quand même pouvoir vivre.
L'expérience du COVID-19
Le service dans lequel je suis habituellement n'est pas intensif, nous aidons les gens à se remettre d'une opération. En général, nous les réveillons, leur donnons des opiacés et les transférons dans un autre service.
Lorsque la pandémie a commencé, toutes les opérations chirurgicales non urgentes ont été annulées et nous n'avons donc pas eu besoin de nous occuper des soins postopératoires. Nous avons suivi une formation d'une journée sur les respirateurs, puis nous avons été immédiatement transférés à l'unité de soins intensifs. Les infirmières de l'unité de soins intensifs reçoivent généralement une formation de six mois, mais nous n'avons eu droit qu'à une journée. Aucun·e d'entre nous n'a eu l'impression de savoir ce qu'il faisait. On nous a simplement dit que c'était ce que nous devions faire et que nous devions nous y mettre.
Mon fils est asthmatique et avait déjà été hospitalisé en soins intensifs à la suite d'un affaissement pulmonaire. Son médecin généraliste m'a dit de ne pas le laisser aller à l'école parce qu'il est vulnérable. Mais je rentrais tous les soirs d'un service COVID-19. J'étais pétrifiée.
J'ai parlé de mon fils à l'hôpital et je leur ai montré des lettres concernant son état de santé. J'ai dit que je ne voulais pas ramener le COVID-19 chez moi. Ils m'ont dit que je pouvais rester à l'hôtel pendant 12 semaines, mais que je ne pourrais pas rentrer chez moi. Honnêtement, maintenant que c'est terminé, je peux regarder en arrière et rire parce que ça me semble tellement ridicule. À l'époque, l'idée de ne pas voir mes enfants pendant 12 semaines, à part à travers une fenêtre, ne pouvait pas me convenir.
Même si je suis infirmière, je suis avant tout une mère et je devais m'occuper de mes enfants. Pendant ce temps, j'ai envisagé d'abandonner mon travail. Porter l'EPI (Équipement de protection individuelle) pendant des périodes de quatre heures était horrible, mais je devais le faire. Je sentais qu'ils avaient besoin de moi, alors j'ai porté tout l'EPI. Un jour, la première chose que j'ai vue, c'est un ami très proche de la famille sous respirateur. J'ai éclaté en sanglots, j'ai quitté l'unité et je n'y suis jamais retournée. J'ai dit à l'hôpital que s'ils ne me redéployaient pas, j'allais devoir démissionner.
Avant la grève
Au cours de l'été 2020, une manifestation "Black Lives Matter" a eu lieu devant mon hôpital, St Thomas. Au début, j'étais un peu nerveuse à l'idée d'y aller, car c'était la première fois que je participais à quelque chose de ce genre. Notre représentant syndical m'a encouragé en me disant "Viens et tiens-toi sur le pont". J'étais là, et je vous dis qu'une fois que j'ai commencé, je n'ai plus voulu retourner au travail. Nous nous sommes tous agenouillés et nous avons levé les mains. Nous avons crié. J'ai adoré ça.
Après cela, j'étais très enthousiaste à l'idée de voter la grève. Je suis membre de Unite et du RCN (Royal College of Nursing) et je voulais participer à d'autres marches, manifestations et piquets de grève. J'aime faire beaucoup de bruit lorsque je suis sur le terrain. Je suis toujours celle qui, avec le mégaphone, encourage la foule.
Pourtant, je ne pensais pas que la grève de la RCN aurait lieu. Ce n'est pas que j'aie voulu faire grève. Il aurait été préférable que nous obtenions l'accord que nous souhaitions. Mais j'étais heureuse de sentir que nous avions une voix pour une fois. Nous allions vraiment faire quelque chose. En tant qu'infirmièr·e, vous êtes censé·e effectuer votre travail parce que vous y tenez. Cela signifie que vous devez supporter beaucoup de choses. Mais je me suis sentie responsabilisée et heureuse que nous puissions réellement faire grève.
Le jour de la grève
Lorsque la grève a eu lieu, c'était incroyable. L'attente avant la grève avait été énorme. Notre unité était sur la corde raide. Je suis une représentante syndicale et tout le monde me posait des questions. Personne ne connaissait les réponses. "Est-ce que ceci est autorisé ? Ou cela ? Avons-nous le droit de faire grève ?" C'était vraiment, vraiment troublant. C'est compréhensible parce que c'était la première fois, pour moi en tout cas, qu'une grève allait avoir lieu.
Je travaille dans une unité de soins postopératoires et nous n'avons su que juste avant la grève que nous allions être une unité dérogatoire. (Une dérogation est une exemption, soit pour un individu, soit pour un service entier, de participer à une action de grève.) Toutes les opérations chirurgicales non urgentes avaient été annulées, mais le théâtre prioritaire devait continuer à fonctionner. Cela signifiait que nous devions continuer à faire travailler certaines infirmièr·es pour les soins postopératoires dans les cas d'urgence.
La plupart des infirmièr·es ne savaient pas vraiment s'il fallait être membre du syndicat pour faire grève ou si le directeur pouvait leur demander s’iels faisaient grève ou non. Je devais savoir comment recruter du personnel pour cette journée. Mais une fois toutes ces questions réglées, nous étions impatient·s de participer à la journée de grève. La majorité des infirmièr·es étaient partant·es. Quelques-un·es étaient nerveux·ses, mais c'était surtout l'inconnu qui les rendait nerveux·ses. Lorsque nous avons appris que nous étions une zone dérogatoire, certain·es se sont montr·ées nerveux·ses à l'idée de prendre la décision de se mettre officiellement en grève.
Le jour de la grève, j'étais impatiente de sortir sur le pont de Westminster. Je voulais être à l'extérieur de mon hôpital et sur un piquet de grève. Bien que je n'aie pas choisi d'être un « piqueteuse officiel », parce que j'avais besoin de courir dans tous les sens pour faire du bruit.
À l'extérieur de l'hôpital, il faisait un froid de canard. Nous essayions simplement de faire du bruit, plus il y en avait, mieux c'était. Une fois sur le piquet de grève, je pense que plus aucun·e infirmièr·e n'était nerveus·e ou inquièt·e. Tout le monde s'est vraiment amusé.
Nous avions un grand chariot rempli de nourriture que tout le monde distribuait. Les gens, qu'il s'agisse du public ou de nos patients, sortaient des services pour déposer des collations sur notre chariot. C'était tellement agréable de sentir qu'iels étaient avec nous, et non contre nous. J'ai vraiment eu l'impression de vivre une période extraordinaire de ma vie et de ma carrière.
Je ne m'attendais vraiment pas à un tel soutien de la part du public. On voit des commentaires et on lit des choses sur le fait qu'en tant qu'infirmièr·es, nous devrions simplement nous débrouiller. D'autres disent que nous mettons la vie des patient·es en danger. Ce n'est pas ce que j'ai entendu ce jour-là. Les gens soutenaient beaucoup la grève et j'ai eu l'impression que ma grève faisait partie de quelque chose de plus grand.
Quelle est la prochaine étape ?
Après la grève, nous avons discuté de la perspective de gagner alors que nous étions au travail. Nous n'étions vraiment pas sûr·es de nous et nous manquions de confiance en notre capacité à gagner. Le gouvernement semblait tenir bon sur ce point. Cependant, nos discussions ont changé. Nous sommes tous·tes d'accord pour dire que la RCN ne cédera pas et que nous nous n’abandonnerons pas.
Nous n'avons pas toujours été de cet avis. Je suis à la fois membre d'Unite et du RCN. J'ai rejoint Unite pendant la pandémie parce qu'iels étaient toujours prêt·es à se battre dans mon hôpital. Le RCN a toujours donné l'impression de vouloir maintenir l'équilibre. Nous pensions qu'il pourrait accepter un accord qui ne nous conviendrait pas. Maintenant que les choses sont allées aussi loin et que nous avons pris des mesures de grève, je ne pense pas qu'ils céderont. Je suis optimiste et je pense qu'ils iront jusqu'au bout pour obtenir un meilleur accord.
Nous traduisons et publions l'éditorial du numéro 17 de la revue britannique Notes from Below. Cet éditorial met en perspective la vague historique de grève qui a traversé le Royaume-Uni à l'automne 2022 avec ses forces et ses limites. Nous avons traduit ou allons traduire certains article de ce numéro que nous mettrons en lien.
Nous traduisons et publions l'éditorial du numéro 17 de la revue britannique Notes from Below. Cet éditorial met en perspective la vague historique de grève qui a traversé le Royaume-Uni à l'automne 2022 avec ses forces et ses limites. Nous avons traduit ou allons traduire certains article de ce numéro que nous mettrons en lien.
Dans le marasme
La Grande Bretagne est une société en déclin. Depuis 2008, le processus graduel de déclin post-impérial s’est accéléré pour devenir quelque chose de plus dramatique. Son économie est désormais caractérisée par la stagnation des salaires réels, l’intensification du travail, la dégradation des protections du travail, l’expansion massive de la précarité, et la consolidation d’un tableau composé de bas salaires et d'une productivité faible dans le secteur des services.
La société plus généralement a aussi pris un coup. L’austérité a plongé des millions de personnes dans la pauvreté, a donné un coup de fouet à la dégradation organisée des services publics et à la cannibalisation de l’infrastructure sociale. De plus en plus de gens font face à un dégradation de leurs conditions de vie, y compris ceux qui pensaient être à l’abri. L’État a pris une forme de plus en plus autoritaire qui se manifeste par une répression des grèves et des manifestations de plus en plus importante. C’est la gestion policière des mouvements étudiants et anti-austérité qui a donné le la à cette dynamique, elle a pris de l’ampleur à travers de nouvelles lois anti-grève et anti-manifs ainsi qu’avec la persécution de migrants désespérés.
Chaque espace de notre vie quotidienne porte les marques de quinze ans d’attaques ininterrompues de la classe dominante, qui s’est elle-même bâtie sur l’assaut néolibéral qui a attaqué le compromis d’après-guerre. En enquêtant sur les dégâts, de notre point de vue, on reste avec l’impression que nous vivons dans une démocratie autoritaire qui s’écroule sur ses fondations en putréfaction.
Mais dans ce marasme, quelque chose se passe. Face à l’inflation galopante et à la menace de réduction des salaires réels, des centaines de milliers de travailleur·ses ont engagé des grèves. Le nombre de grèves en stagnation depuis des décennies est monté à des niveaux jamais vus depuis la vague de l’hiver 89/90. Ce numéro de Notes from Below présente le point de vue des travailleur·ses qui se sont trouvé.es en première ligne de cette nouvelle vague de grève.
Dans Class Struggle and Recomposition at the Royal Mail1, un postier en grève réfléchit au conflit national actuel, à la dégradation des liens sociaux sur le lieu de travail et à la nécessité de reconstruire un militantisme d'atelier confiant.
Dans The NEU strike - winning a rank-and-file led union, Vik Chechi-Ribeiro, enseignant et représentant du NEU, évoque le contexte de la grève nationale dans les écoles et les possibilités d'utiliser ce conflit pour reconstruire une base dans le secteur de l'éducation.
Dans Struggles on the Railways, nous entendons le témoignage d'un ouvrier spécialisé dans la fabrication de trains, qui décrit la dynamique de cette industrie et la manière dont elle a façonné l'état actuel des luttes syndicales et des luttes de la base.
Dans The University Strikes, as seen from Birkbeck Library, un membre d'UNISON à Birkbeck nous explique les conflits locaux et nationaux en cours et les perspectives d'escalade pour les travailleur·ses de ce secteur.
Dans UCU and the University Worker : Experiments with a bulletin, un groupe de travailleur·ses associés au bulletin " University Worker " réfléchissent aux conflits dans le secteur depuis 2018 et à la manière dont leur expérience de la production d'un bulletin de grève leur a permis de contribuer à la construction d'une base indépendante au sein du syndicat.
Prises ensemble, ces contributions tracent certains des contours clés des conflits en cours et présentent la manière dont les travailleur·ses - allant de militant.es syndicaux.les chevronné.es à des grévistes débutant.es - ont compris leurs expériences sur le piquet de grève. Dans la suite de cet éditorial, nous nous pencherons sur trois autres questions : l'ampleur des actions de grève, la forme qu'elles ont prise et leurs implications pour notre analyse générale.
Combien de grèves ?
De notre point de vue actuel, il est facile d'oublier à quel point le récent déclin des actions de grève a été profond. Entre 2008 et aujourd'hui, le nombre total de personnes employées au Royaume-Uni a varié entre 29 et 33 millions. Au cours des huit mois de cette période l’Office for National Statistics (NDLR l’INSEE anglais) a enregistré moins de 2 000 jours de travail perdus pour cause de grève dans l'ensemble du pays (il y en aurait certainement eu davantage, mais la collecte de données a été interrompue pendant la pandémie de COVID-19.
Ce niveau de grève est presque extrêmement faible. Pour replacer les choses dans leur contexte, si l'on part d'une moyenne de 22 jours ouvrables par mois pour la période considérée et d'environ 31 millions de personnes employées, le nombre total de jours travaillés par mois est de 682 000 000. 2 000 jours perdus pour cause de grève ne représentent que 0,00029 % du nombre total de jours travaillés. Ce déclin vers des niveaux d'action négligeables s'inscrit dans une longue tendance historique, qui a vu les niveaux d'action des travailleur·ses en termes absolus s'effondrer, alors même que la taille de l'ensemble de la main-d'œuvre augmentait.
L’ère post-2008 a connu des moments de grèves importants. Près d’un million de jours travaillés ont été perdus pendant le mois de novembre 2011 et la grève contre la réforme des retraites du secteur public. Mais il s'agissait d'une grève symbolique d'une journée qui n'a eu que peu ou pas d'impact durable. Dans l'ensemble, la combinaison de l'austérité et de la pire décennie de croissance des salaires en termes réels depuis le début du XIXe siècle n'a rencontré aucune résistance organisée de la part du mouvement syndical.
Cet historique constitue un contexte essentiel pour comprendre l'explosion récente. Le nombre de jours perdus en 2022 est impressionnant : 357 000 en août, 422 000 en octobre, 461 000 en novembre et 843 000 en décembre. Mais ce qui est le plus remarquable dans cette augmentation, c'est son caractère durable. Il ne s'agit pas seulement d'un pic d'un mois, mais d'un niveau d'action en hausse constante sur plusieurs mois. Cela apparaît plus clairement si l'on examine la moyenne mobile sur trois mois des journées perdues :
Au cours des trois mois précédant décembre 2022, c'est la première fois que la moyenne mobile des jours perdus pour cause de grève dépasse le demi-million depuis l'hiver 1989/90, lorsque Margaret Thatcher approchait de la fin de son mandat de premier ministre et que le mouvement anti-taxe sur les véhicules était à son apogée. Il ne s'agit pas d'actions ponctuelles, mais d'actions soutenues, généralisées et coordonnées.
En outre, nous constatons un réel changement dans la répartition des actions de grève entre le secteur privé et le secteur public. Alors que la plupart des grèves de faible ampleur menées après 2008 étaient concentrées dans le secteur public, les grèves dans le secteur privé représentent de plus en plus la majeure partie des jours de travail perdus.
Cette tendance est sans doute due à l'action très importante menée par le CWU dans les services postaux désormais privés et par le RMT et l'ASLEF contre les opérateurs ferroviaires privés. D'autres facteurs peuvent également y contribuer, mais l'ONS a cessé de collecter les données qui détaillent la répartition de ces actions par secteur. Pour l'instant, la répartition de ces actions dans le secteur privé reste donc une question ouverte.
Quel genre de grèves ?
Dans tous les articles rassemblés dans ce numéro de Notes From Below, quelques thèmes reviennent sans cesse. Tout d'abord, l'absence de contrôle des conflits par la base. Deuxièmement, les tactiques modérées déployées par les travailleur·ses - souvent face à une provocation et une victimisation extrêmement agressives de la part de la direction. Troisièmement, l'existence de revendications politiques molles concernant le financement des services publics et le soutien de la population à ces revendications et aux travailleur·ses qui les formulent. Quatrièmement, l'absence d'un mouvement politique exprimant les motivations de la grève au niveau de la politique bourgeoise ou par le biais de mouvements sociaux. Cinquièmement et enfin, le difficile équilibre des forces auquel sont confrontés les travailleur·ses en grève dans toutes les industries. En reliant de nombreux cas d'enquête différents, nous pouvons commencer à dresser un tableau général des types de grèves qui ont constitué cette grande vague. Les écrits de travailleur·ses, donnent une idée de la lutte sur le terrain. Ceux-ci ne sont pas filtrés par des médias hostiles ou aplanis par les communications syndicales, et comprennent donc les tensions et les possibilités réelles contenues dans cette vague de grèves.
L’absence de contrôle de la base
Si nous ne devons pas condamner ces dirigeant.es syndicaux.les pour avoir pris l’initiative, il est vital de comprendre que plutôt que de lancer des grèves parce que ‘c’est ce que font les syndicats’, ce sont plutôt leur intérêts en tant que groupe qu’il cherchent à mettre en avant (des intérêts différents de ceux des travailleur·ses). Si les grèves servent plus leur but, ils seront tout aussi prompts à cesser de lancer des bulletins de vote, à moins que la pression de la base ne s'intensifie.
C’est la raison pour laquelle le manque évident d’organisation à la base dans ces conflits devrait être un sujet de préoccupation. Des réseaux de délégués syndicaux existent dans la plupart des secteurs importants, mais aucun n’est parvenu à donner une direction à leur grève ni à y imposer leurs revendications. Les cycles de militantisme syndical qui ont émergé dans les années 1910 et 1970 ont tous deux été accompagnés par le développement de mouvements de délégués syndicaux fondés sur des comités d'entreprise. Ceux-ci réunissaient tous les représentants d'un site de travail (qu'ils appartiennent ou non à différents syndicats). Ils étaient complétés par des "combinaisons" plus larges qui reliaient les travailleur·ses d'une même entreprise, d'une même ville, d'un même secteur ou d'un même syndicat. Ces organes indépendants étaient en mesure de soumettre les directions syndicales à une pression considérable, en essayant d'orienter les conflits à partir de la base. Ils ont également joué un rôle essentiel en diffusant des idées sur la manière de s'organiser et de lutter dans les circonstances spécifiques auxquelles ils étaient confrontés sur le terrain. L'absence de telles institutions limite considérablement l'efficacité des grèves actuelles en tant que tactique de négociation, ainsi que leur capacité à contribuer à un mouvement politique de la classe ouvrière visant un changement révolutionnaire.
Comme le montre l'article de The University Worker dans ce numéro, le comportement de la direction de l'UCU n'a été possible qu'en raison de la faiblesse de la base. Alors que le Higher Education Committee avait initialement appelé à une action de grève illimitée, la direction a pu l'ignorer et appeler à des actions beaucoup plus limitées. La combinaison d'une stratégie de communication avec un "leader charismatique" et de sondages massifs par courrier électronique a été utilisée pour saper les militants sur le terrain quelques semaines seulement avant le début de l'action. Au milieu de la grève,la direction du syndicat a destitué les négociateurs élus et suspendu l'action de grève pendant deux semaines après avoir échoué à obtenir un quelconque accord concret. Une fois de plus, ils ont contourné les structures représentatives du syndicat et ont eu recours à un vote par courrier électronique truqué pour tenter d'obtenir un soutien rétrospectif en faveur d'un montage antidémocratique. L'employeur a réagi en déclarant que les négociations salariales étaient terminées et en imposant une offre salariale bien inférieure à l'inflation, déjà rejetée par les membres. Le syndicat s'est retrouvé démobilisé au milieu d'un nouveau scrutin, sans pouvoir rétablir les jours de grève annulés en raison des lois répressives du gouvernement à l'égard des syndicats. Rien de tout cela ne serait arrivé si les réseaux de représentants avaient pu dicter leurs conditions à la direction.
Dans ce contexte, notre rôle en tant que militants semble clair : nous devons construire ces bases. Nous pouvons le faire de trois manières. Premièrement, en essayant de relier les représentants au sein des lieux de travail et entre eux. Deuxièmement, en identifiant les moyens d'étendre ces réseaux en développant les représentants au fil du temps. Troisièmement, en diffusant des connaissances sur la manière de s'organiser et de lutter et en s'engageant avec d'autres représentants pour discuter et affiner nos idées et nos stratégies politiques.
Des tactiques limitées face aux agressions managériales
Un militant français de l’ultra-gauche parlait à l’un de nous d’un de ses souvenirs de jeunesse en Angleterre. Il disait qu’il venait avec ses camarades en Ferry et de débarquer dans la grosse grève la plus proche. Là, ils offraient leur aide aux délégués syndicaux et, le plus souvent, on leur confiait une tâche utile à accomplir au cœur de la nuit. "Ah, se souvient-il, les Anglais savaient vraiment ce que signifiait un piquet de grève. C'est toujours comme ça ?" La réponse l’a déçu.
Aujourd'hui, il n'est pas rare que les piquets de grève se réduisent à un petit groupe de six personnes portant des gilets de sécurité officiels. Les briseurs de grève sont autorisés à traverser sans encombre et le ton est calme, amical, aimable - peut-être même méfiant à l'idée de causer un désagrément. Trop souvent, on considère qu'il s'agit de manifestations plutôt que d'activités perturbatrices. Les grévistes sont là pour montrer ce qu'ils croient, et non pour interrompre le fonctionnement de leur lieu de travail.
Ce déclin du pouvoir de la base n'est peut-être pas surprenant étant donné le contexte de faibles niveaux de grèves syndicales et de répression de l'État, mais il reste un problème majeur. Les piquets de grève devraient se consacrer activement à la fermeture du lieu de travail (comme l'affirme Vik Chechi-Ribero dans son article, "les piquets de grève devraient être réellement des piquets de grève"), des tactiques de pression (développées à un haut niveau par Unite) devraient être déployées partout où cela est possible, et des groupes extérieurs devraient s'engager dans des actions directes de soutien. Rien de tout cela n'a été suffisamment répandu pour que nous soyons convaincus que l'action de grève entreprise par tant de personnes est utilisée de manière optimale. En partie, on a l'impression que le mouvement syndical britannique est devenu excessivement poli. Peut-être en raison des menaces posées par la presse d'extrême droite la plus enragée d'Europe et par un gouvernement de droite dure qui n'hésitera pas à s'emparer des caisses des syndicats, bon nombre de ces grèves semblent être tactiquement douces.
Pas besoin de politesse de politesse face aux patrons !La Royal Mail a attaqué sans relâche le CWU dans les médias et a porté sa longue campagne de répression des représentants à de nouveaux sommets, avec au moins 200 personnes suspendues. Comme l'explique un postier dans Class Struggle and Recomposition at the Royal Mail, il s'agit d'une tentative consciente de saper le moral des travailleur·ses et de les déstabiliser en prévision d'une grève. Les universités ont également intensifié leurs retenues salariales, certaines menaçant de prélever 100 % des salaires chaque jour jusqu'à ce que les enseignements manquants pour la grève aient été rattrapés. Il y a sans doute d'autres exemples dans d'autres secteurs qui montrent à quel point les patrons prennent ce combat au sérieux.
Du côté des travailleur·ses, il y a eu peu d'exemples de tactiques plus fortes que nous pouvons mettre en avant. Dans le cadre de la grève de Royal Mail, quelques camionnettes d'agences de briseurs de grève ont été bloquées les jours de grève, mais il s'agissait presque exclusivement de sympathisants plutôt que de grévistes eux-mêmes. C'est loin d'être une forme d'action généralisée. La manifestation conjointe NEU/PCS/UCU/Equity à Londres en février était bruyante et dynamique, mais n'était en fin de compte qu'une manifestation d'un point A à un point B. Si nous voulons gagner, nous devrons intensifier nos tactiques.
Demandes politiques molles et soutien populaire
Lorsque les travailleur·ses du secteur public (qui sont en fin de compte employés par l'État) se mettent en grève, leurs revendications entrent dans le champ politique presque par accident. Les revendications relatives aux conditions de travail dans les écoles et les hôpitaux peuvent facilement se transformer en débats sur le financement de l'éducation et des soins de santé. Par exemple, les manifestations du NEU et du RCN ont toutes deux été caractérisées par des pancartes portant des slogans réclamant non seulement des augmentations de salaire, mais aussi des augmentations de financement pour le système dans son ensemble. Ces revendications commencent sur le lieu de travail. Après tout, il serait moins stressant et moins aliénant de travailler dans un système correctement financé. Cependant, elles ont également de profondes implications pour ceux qui, en dehors du lieu de travail, dépendent de ces services en tant qu'élèves, patients, parents et soignants. Il convient de rappeler qu'il ne s'agit pas de revendications radicales. Il s'agit de revenir à l'État-providence du passé, de regagner quelque chose que nous avons perdu plutôt que de lutter pour un nouveau type de société.
Les grèves du secteur public bénéficient d'un niveau surprenant de sympathie de la part du public. Il s'agit peut-être en partie d'un héritage de l'idée du "travailleur·ses essentiel·les", devenue si populaire pendant la pandémie. Les derniers sondages montrent un large soutien aux grévistes : 57 % des sondés soutiennent les infirmières (contre 31 % contre), 52 % les ambulanciers (contre 35 % contre), 40 % les enseignants du primaire (contre 43 % contre) et 38 % les cheminots (contre 46 % contre). Après des mois d'action, ce niveau de soutien est remarquable.Toutefois, ce soutien ne s'est pas transformé en un mouvement social visant à soutenir activement les grèves.
Un manque de débouchés politiques et de soutien de la part du mouvement social
Sans surprise, le Parti Travailliste sous la direction de Keir Starmer ne soutient guère les travailleur·ses en grève. Depuis 2020, le parti s'est fortement droitisé et a purgé Corbyn et de nombreux membres associés à sa direction. Les revendications très souples visant à financer correctement les écoles et les hôpitaux ne sont pas soutenues, même par l'opposition. Les revendications de ces grèves n'ont pas de partisans majeurs dans les chambres du Parlement. Mais il n'y a pas non plus de mouvement social fort derrière elles.
Enough is Enough - un mouvement initié par les directions syndicales de RMT, CWU, ACORN, le magazine Tribune et quelques députés de la gauche travailliste - a été lancé pour tenter de combler ce vide. Il a commencé par une série de rassemblements dans tout le pays, au cours desquels le public était invité à s'asseoir et à écouter des discours expliquant comment nous allions nous battre et gagner. La campagne s'articulait autour de cinq revendications : une véritable augmentation des salaires, la réduction des factures d'énergie, la fin de la pauvreté alimentaire, des logements décents pour tous et l'imposition des riches. Mais la stratégie pour faire aboutir ces revendications est toujours restée un peu floue, et une fois les rassemblements terminés, les participants n'ont pas eu grand-chose à faire en dehors d'une série de manifestations locales en octobre. Leur dernière activité semble être la mise en place d'une pétition pour s'opposer au dernier projet de loi sur les syndicats, qui a recueilli jusqu'à présent 10 000 signatures. Malgré le lien avec les syndicats, la capacité de mobilisation du mouvement a diminué, au point qu'il ressemble désormais à n'importe quelle Assemblée populaire contre l'austérité. Certains critiques ont suggéré que l'objectif de la campagne a toujours été d'absorber l'énergie déclenchée par la crise du coût de la vie et de protéger la position de la gauche établie contre tout mouvement insurrectionnel provenant de l'extérieur des institutions syndicales traditionnelles.
Les réseaux spontanés de soutien des grèves qui sont sortis d’un peu partout ont été plus efficaces. Structurés autour de groupes WhatsApp et rendus possible par les informations sur les piquets disponibles sur StrikeMap2, ils ont consolidé des réseaux de militants déjà existants et ont amené des travailleur·ses à se soutenir mutuellement dans leurs conflits. Cependant ces groupes n’ont pas réussi à établir une quelconque structure de mouvement ou des revendications cohérentes.
Don’t Pay, mis en place pour lutter contre la hausse des prix de l'énergie3, a aussi eu ses moments excitants. Les revendications claires de la campagne, une théorisation effective du changement (une grève des factures qui commence une fois qu’un million de personne ont signé) et une canalisation intelligente des inscriptions sur le site web vers des groupes d'organisation de codes postaux a conduit à une période de croissance rapide qui a permis de sortir de la bulle de gauche et qui a menacé de mettre les compagnies d'énergie à rude épreuve. Mais après que le gouvernement Truss, en partie sous la pression de groupes tels que Don't Pay, a fait de réelles concessions sur les prix de l'énergie, il n'a pas réussi à se réorienter stratégiquement et s'est donc heurté à un mur4. Par la suite, le croisement potentiel des piquets de grève et des manifestations contre les factures, qui aurait pu être si prometteur, ne s'est jamais concrétisé.
Dans l'ensemble, la gauche officielle a été fondamentalement incapable d'articuler les revendications des grévistes au niveau politique. La purge de la gauche au sein du parti travailliste n'a pas donné lieu à un point de référence stable vers lequel ces militants peuvent se tourner pour obtenir un leadership politique. Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que des personnalités publiques soient devenues un point de ralliement, comme Mick Lynch - dont les apparitions dans les journaux télévisés se sont démarquées au milieu d'un paysage médiatique par ailleurs presque universellement réactionnaire.
Un difficile équilibre des forces
À première vue, le bilan des récentes grèves n'est pas positif. Nous n'avons pas encore vu à quoi ressemble une victoire nationale. Les mauvais accords se multiplient, les syndicats se contentant d'augmentations salariales nettement inférieures à l'inflation. Le rapport de forces auquel sont confrontés les grévistes semble défavorable jusqu'à présent. Le conflit ferroviaire qui a déclenché cette vague n'a toujours pas été résolu, même si un règlement des grèves aurait été moins coûteux pour le gouvernement. De nombreux conflits de moindre importance se sont soldés par des résultats positifs, mais aucune grande victoire n'est à signaler. Plus important encore, l'horizon de la "victoire" semble désormais fermement limité aux augmentations de salaire - l'idée d'une victoire politique plus importante, qui permettrait de gagner quelque chose de significatif pour l'ensemble de la classe, semble très éloignée. Cette revitalisation du mouvement syndical pourrait déboucher sur une série de luttes longues et très difficiles. Cela pourrait aboutir à ce que les syndicats se vendent pour des accords de merde, ou à des grèves incessantes, année après année, avec peu de résultats.
Mais malgré ce rapport de force défavorable, la menace de la classe ouvrière est profonde. Quel que soit le terrain, il est toujours possible que quelque chose se passe. Il peut s'agir de la création d'une nouvelle couche de militants de base ayant l'expérience de l'organisation et de la grève, ou de quelque chose de plus dramatique. Nous devons rester attentifs à ce que cela pourrait être.
Quelles implications ?
Ces conflits sont loins d’être finis? Les jours de grève continuent de remonter et personne ne sait exactement ce qui adviendra ensuite. Mais s’il est impossible de prévoir le cours futur de la lutte, nous pouvons faire deux choses utiles. D’abord, nous pouvons identifier les interventions possibles dans ces luttes et essayer de faire croître le potentiel politique de la vague de grèves. Ensuite, nous pouvons réfléchir sur ce que cette vague de grèves soudaines nous dit des formes de luttes qui émergent de notre composition de classe contemporaine.
Le développement de la base
La plus grande opportunité politique offerte par ces grèves est la possibilité de construire des réseaux de base parmi les travailleur·ses en grève. Sur nos lieux de travail, dans nos villes, nos entreprises, nos branches et nos syndicats, nous pouvons commencer à établir des liens entre les représentants qui formeront la base d'un mouvement ouvrier plus puissant et plus politique.
La structure et l'activité de ces réseaux devraient être relativement simples :
La nature d'un réseau de base varie en fonction de la manière dont il est défini par les travailleur·ses qui le créent. Tous les réseaux doivent réunir des représentants et des délégués syndicaux, mais ils peuvent le faire selon des modalités différentes. Il peut s'agir, par exemple, d'un réseau sur le lieu de travail qui relie tous les représentants d'un même site, indépendamment de leur fonction et de leur syndicat. D'autres peuvent être un réseau d'entreprise qui relie les représentants de tout le pays, un réseau urbain ou régional qui rassemble les représentants de tous les lieux de travail d'une zone géographique, un réseau sectoriel qui relie les représentants d'un même secteur, et ainsi de suite. Chacune de ces formes permet d'atteindre des objectifs différents et d'influencer l'activité syndicale de différentes manières.
Les groupes WhatsApp peuvent constituer un point de départ utile pour développer ces connexions. Nous avons tous des groupes qui peuvent créer une base initiale pour l'organisation, où nous discutons de problèmes au travail avec d'autres travailleur·ses en qui nous avons confiance, ou même où nous organisons simplement des soirées pour nous défouler sur le patron. Mais il est essentiel de ne pas s'arrêter une fois que nous avons fait ces premiers pas faciles. La cartographie du lieu de travail, de l'industrie, du secteur et du syndicat devrait indiquer les points forts et les points faibles du réseau. Des visites sur les piquets de grève et de simples conversations individuelles permettent de développer le réseau à partir de là.
Ces réseaux ne peuvent se limiter à WhatsApp et à d'autres plateformes en ligne : les réunions organisées démocratiquement sont essentielles pour renforcer la compréhension et la confiance mutuelles, tout en planifiant le travail plus difficile de partage des idées et des compétences, de discussion de la stratégie, de planification de l'escalade, dans le but de comprendre comment faire pression sur les patrons et la bureaucratie syndicale.
Les groupes de base peuvent utiliser les bulletins pour renforcer leurs liens et diffuser leurs idées. Les bulletins de grève ont un rôle particulier à jouer dans l'information de la base sur l'évolution d'un conflit.
La nature d'un réseau de base signifie qu'il aura tendance à attirer les militants les plus engagés, mais cela ne doit pas vous empêcher de recruter des travailleur·ses moins expérimenté·es, en particulier sur des lieux de travail où il n'existe pas de structure de représentation établie. L'implication dans des réseaux plus larges peut les aider à développer leurs compétences.
Un réseau de base n'est pas la même chose qu'une tendance qui vise à mener des campagnes électorales pour des postes bureaucratiques. Ce n'est pas l'objectif final de l'organisation au sein d'un syndicat. Votre réseau doit être ouvert à des personnes issues de différentes tendances syndicales, s'il en existe, pour autant qu'elles acceptent la nécessité d'une organisation de la base et s'engagent à respecter la démocratie du réseau de la base.
Nous devrions nous inspirer d'organisations telles que le Clyde Workers Committee5, formé durant la première guerre mondiale, qui affirmait que : "Nous soutiendrons les cadres syndicaux tant qu'ils représenteront correctement les travailleur·ses, mais nous agirons de manière indépendante et immédiate s'ils les représentent mal. Composés de délégués de chaque atelier et libres de toute règle ou loi obsolète, nous prétendons représenter le véritable sentiment des travailleur·ses. Nous pouvons agir immédiatement en fonction des mérites de l'affaire et du désir de la base".
Ce moment est une excellente occasion de mettre en œuvre une stratégie d'agitation. Cela signifie que, dans l'unité avec d'autres travailleur·ses, nous nous battons contre nos patrons et que nous essayons de pousser le conflit aussi loin que possible sur le plan politique. L'espoir est que nous puissions passer de conflits à petite échelle sur le montant de notre salaire à des luttes plus importantes sur l'organisation de la société. Nous reviendrons sur cette question de l'agitation dans les prochains numéros. Si nous parvenons à construire rapidement ces réseaux, ils pourraient alors commencer à défier les directions syndicales pour un contrôle ascendant de la vague de grèves. Dans les syndicats où l'espace démocratique est plus important, la bureaucratie peut se montrer plus coopérative. Ailleurs, nous pouvons avoir des relations plus combatives avec le personnel et les directions des syndicats. Les organes indépendants de la base peuvent pousser à l'escalade tactique et, lorsqu'ils sont rassemblés à plus grande échelle, ils pourraient même commencer à représenter les revendications politiques des grévistes indépendamment du mouvement syndical officiel.
En bref, ils pourraient changer complètement le caractère de cette vague de grèves. Il est clair que nous en sommes très loin aujourd'hui. Comme nous l'avons vu plus haut, la base n'a encore pris le contrôle d'aucun des principaux conflits en cours. Mais tout mouvement dans cette direction serait un grand pas en avant pour la lutte des classes en Grande-Bretagne, même si les conflits dans lesquels ils émergent se terminent par une impasse ou une défaite.
Un nouveau motif : la lutte de classe sur une planète qui se réchauffe
La recherche du profit qui nous a emmené des premières enclosures de la terre à l’abîme du désastre environnemental. Aujourd’hui, la pulsion d'accumulation du capital est devenue une pulsion de mort, alors que notre société plonge tête la première dans les deux degrés de réchauffement à la fin de ce siècle. Il devient de plus en plus clair que notre expérience de la catastrophe qui en résultera sera caractérisée par un qualité de vie en baisse ponctuée par des crises. Il y aura de plus en plus d’événements climatiques extrêmes, de migrations de masse, de zoonoses et de conflits imprévus qui émergeront. L'apparente constance du "business as usual" sera interrompue par des pannes de production et de logistique dans le monde entier. Ces interruptions peuvent être brèves et périphériques au début, mais elles deviendront de plus en plus longues et déstabilisantes. En conséquence, de nouvelles luttes pour la consommation sont à prévoir, car les travailleur·ses non organisés et les sections de la classe qui ont peu d'influence sur le lieu de travail sont confrontés à des obstacles réels et sérieux qui entravent la poursuite de leur survie.
En ce sens , les événements de début 2020 à aujourd'hui nous donnent une idée de ce que seront les décennies à venir. Les grèves actuelles sont une réponse de l’augmentation des prix des marchandises basiques, une tendance qui persistera probablement tandis que les économies liées aux systèmes de production allégés et à la mondialisation sont contrebalancées par l'augmentation des dommages écologiques. C’était un des sujets de discussion au récent Forum économique mondial de Davos6, alors que les grands capitalistes manufacturiers insistent sur le besoin d’une transformation multi annuelle des chaînes d’approvisionnement pour augmenter la résilience. Blackrock, le plus gros gestionnaire d'actifs, est d'accord avec cette approche. Leur prévision pour 2023 est celle d'un avenir façonné par des "compromis brutaux" et des niveaux d'inflation élevés en permanence, qui resteront élevés à moins que les banques centrales n'augmentent les taux d'intérêt à des niveaux extraordinaires et ne provoquent de graves récessions.
Mais cette hausse constante des prix pourrait-elle être amortie par des augmentations de salaires ? Si les travailleur·ses bénéficient d'importantes augmentations de salaire, il ne devrait pas y avoir d'incidence si les prix des denrées alimentaires augmentent de 17 % par an. Toutefois, ces augmentations de salaires devraient être financées soit par une augmentation du montant global de la valeur produite par l'économie, soit par une réduction de la part de la valeur versée au capital sous forme de profits. Nous aborderons la seconde possibilité dans un instant, mais il est d'abord essentiel de comprendre qu'un retour à long terme à une croissance significative du PIB semble de plus en plus improbable. Le Fonds monétaire international prévoit que l'économie britannique se contractera de 0,6 % en 2023 en cas de récession à court terme, mais les perspectives de croissance à long terme semblent également sombres. Les économies désindustrialisées et axées sur les services semblent fondamentalement incapables de produire des augmentations significatives de la productivité du travail. L'histoire du capitalisme est celle d'une innovation incessante : la division du travail, la machine à filer, l'usine à vapeur, la chaîne de montage, la conteneurisation - nous pouvons raconter l'histoire du système à travers les noms des innovations déployées contre la classe ouvrière. Mais aujourd'hui, les changements technologiques sont lents.La révolution informatique est célèbre pour être visible "partout sauf dans les statistiques de productivité. La gestion algorithmique, le grand développement technologique du capitalisme de plateforme, n'augmente guère la productivité du travail. Au contraire, elle automatise principalement le travail improductif de supervision, ce qui permet d'économiser des coûts et de faire transpirer le travail un peu plus. Nous vivons un moment remarquable, avec un processus simultané d'effondrement écologique, de stagnation technologique et de stagnation économique généralisée, pouvant conduire à une instabilité extrême. L'espoir des gouvernements et de leurs perroquets médiatiques que les choses reviendront bientôt à la normale est on ne peut plus déplacé.
Alors, pour en venir à la deuxième option, le capital va-t-il volontairement réduire ses profits pour soutenir la qualité de vie des travailleur·ses ? La réponse est évidemment non. Si la somme de valeur est statique dans l'économie et que les prix augmentent, le travail ou le capital devra supporter la douleur, et aucun des deux ne le fera volontairement. La lutte des classes sur une planète qui se réchauffe sera un conflit de répartition à somme nulle. Si ce conflit peut commencer sur le lieu de travail, il sera ponctué d'éclairs occasionnels d'intensification de l'activité - qu'il s'agisse d'entraide ou d'émeutes de la faim - regroupés autour de crises spécifiques.
Pour le mouvement ouvrier, l'avenir proche s'annonce donc comme une série de batailles défensives désespérées contre les baisses de salaires réelles, dans lesquelles nous essayons de forcer les patrons à supporter les coûts de l'inflation en réduisant leurs profits. Mais sans le soulagement d'un retour à la croissance, ce combat devra être repris chaque année. Cela ressemble à une préparation pour une période de conflit persistant. Face à un tel environnement d'usure, il est probable que les dirigeants syndicaux seront tentés de former un compromis social avec un (probable) gouvernement Starmer en 2024, même s'il s'est montré tout sauf digne de confiance. Mais malgré la bonne volonté des deux partis, il est difficile de voir où se trouverait la marge de manœuvre pour un compromis. Contrairement à la période du blairisme, un taux de croissance de fond constant de 4 à 6 % semble impossible. Cela signifie que la redistribution impliquerait nécessairement de prendre à une classe pour donner à une autre, et pas seulement de modifier le ratio par lequel la nouvelle richesse est distribuée. Le parti travailliste, maintenant purgé de toute personne même rhétoriquement engagée en faveur du socialisme, ne risquera pas ses relations avec la classe dirigeante pour plaire aux syndicalistes, même si ces derniers se plaignent bruyamment lors des conférences du parti travailliste.Tout compromis social des syndicats et des travailleur·ses serait probablement très faible et soumis à des pressions immédiates de la part des autorités et, à mesure que la résistance s'accroît, de la part de la société civile. Face à l'escalade des conflits sociaux, l'autoritarisme de l'État (qu'il soit bleu ou rouge) est susceptible de limiter de plus en plus la liberté d'action accordée par la loi aux syndicats et aux mouvements sociaux. C'est dans ces circonstances que les réseaux de base que nous construisons aujourd'hui peuvent devenir cruciaux.
Les victoires d'après-guerre de l'ouvrier de masse ont été remportées dans des industries manufacturières en période de forte croissance. Leur contexte ne pourrait être plus différent du nôtre. Il en va de même pour nos slogans - alors qu'ils disaient "nous voulons tout" [vogliamo tutto], les nôtres sont plus susceptibles de dire "pas un pas en arrière". L'argument ci-dessus n'est qu'une première tentative pour comprendre les rythmes émergents de la lutte des classes sur une planète qui se réchauffe. La discussion plus approfondie de cette tâche stratégique essentielle devra être laissée aux prochains numéros. Mais il nous semble clair que cette vague de conflits établit le modèle de ce qui est à venir. La période des grèves de faible intensité touche peut-être à sa fin, une nouvelle génération de militants s'imposant comme les leaders d'une classe ouvrière engagée dans des batailles défensives désespérées dans un contexte mondial déstabilisé. Dans ce contexte, on ne saurait trop insister sur le potentiel de changements rapides dans l'équilibre des forces, qu'ils soient positifs ou négatifs. C'est le début d'une ère d'instabilité. Mais nous nous en réjouissons - après tout, l'avantage des petites forces est qu'elles peuvent déjouer les géants de l'État et du capital et prendre l'avantage sur le terrain. Le moment est venu de construire des mouvements de base. Comme le disait le regretté Mike Davis, nous sommes confrontés à un avenir désespéré qui menace la vie de milliards de personnes : "Contre cet avenir, nous devons nous battre comme l'Armée rouge dans les décombres de Stalingrad. Combattre avec espoir, combattre sans espoir, mais combattre absolument "7.
Cet article datant du 2 octobre 2023 revient sur certains aspects de la lutte des ouvrier·ères l’ex-usine GKN, tout en l’inscrivant dans le contexte politique actuel du gouvernement Meloni. La lutte organisée par les travailleuses et travailleurs après l’annonce d’un licenciement annoncé en 2020, a mobilisé ces dernières années un important réseau de solidarité. L’exemple de GKN a montré l’importance de la planification et de l’organisation de la lutte autour des enjeux économiques et écologiques pour préparer l’avenir.
L'article original est à retrouver ici. Vous pouvez aussi devenir des actionnaires populaires de GKN ici
Nous étions encore en 2021 lorsque la présidente de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni parlait du collectif de l’usine de la GKN. À cette période, le tribunal de commerce de Florence avait accepté le recours contre le licenciement collectif des 422 ouvriers de l’établissement de Campi Bisenzio, Florence, laissés à la maison d’un jour à l’autre par le fonds d’investissement Melrose à la suite d’un mail. "La décision du tribunal de commerce sur le cas GKN est juste" avait dit Meloni à cette occasion. "Défendre l’économie réelle et le travail, combattre les délocalisations sauvages des multinationales et empêcher que des cas similaires ne se reproduisent, continuera d’être la priorité de Fratelli d’Italia.
Deux ans ont passé et pendant ce temps, Giorgia Meloni est arrivée à la tête du gouvernement et a changé le nom du ministère du développement économique,qui s’appelle désormais le ministère des entreprises et du Made In Italy. Toutefois, rien n'a permis de relancer la fortune du tissu productif du pays. Au contraire, la situation est toujours plus préoccupante. Dans un entretien, la sous-secrétaire d’État Fausta Bergamotto a carrément discrédité le plan de réindustrialisation et interpellé le gouvernement.
Durant les deux années passées, trois cadres se sont relayés au gouvernement. Aucun n’a su donner de réponse aux ouvriers de la plaine florentine, ni engager une véritable transition dans le secteur automobile. L’ex-ministre du mouvement 5 étoiles Roberto Cingolani l’avait décrit comme un "bain de sang", suggérant que la réduction de l’impact environnemental de notre système productif aurait produit une perte significative de postes de travail, en particulier dans l’industrie automobile. La décision de fermer l’établissement de Campi Bisenzio était précurseur d’un destin prêt à frapper le secteur tout entier.
Peu de temps après, une procédure de licenciement similaire a été annoncée à l’usine Gianetti Ruote à Ceriano Laghetto dans la province de Monza qui a licencié 152 employés, toujours par un simple mail ; à l’usine Bosch de Bari, qui a annoncé en 2022 700 licenciements sur 5 ans ; et l'établissement Marelli de Crevalcore, Bologne, qui a, en septembre, indiqué la future fermeture de l'usine de composants. La logique est toujours la même, "fermeture et ragoût" telle que l’ont définie les économistes de la Scuola superiore Sant’Anna di Pisa Giovanni Dosi, Andrea Roventini et Maria Enrica Virgillito : "déballer" les entreprises pour les donner au plus offrant.
La logique du ragoût
Cette logique a régi aussi pendant le mois d'août 2021 les 87 tables de crise à l’agenda du ministère du développement économique, qui impliquait environ 100 000 travailleur·ses. Selon les économistes de Sant’Anna, les licenciements de masses sont un choix politique. Les délocalisations et les privatisations sont avantageuses pour le privé mais coûteuses pour l’État, parce qu’elles demandent des amortisseurs sociaux pour les ouvriers. Mais ce sont les territoires qui en font les frais, parce que ces opérations laissent derrière elles un désert productif dans lequel prolifère le chômage et les crises sociales. La transition écologique dans le secteur automobile ne doit pas être un bain de sang. Elle ne doit pas soutenir les fantaisies spéculatives des entreprises et des fonds d’investissements : on peut se doter de mesures d’intervention étatiques pour créer des alternatives viables.
C’est précisément pour cela qu’un groupe de recherche interdisciplinaire s’est constitué et auquel participent notamment les économistes de Sant’Anna. L’objectif est d’aider le collectif d’usine de GKN à élaborer un "plan sur plusieurs niveaux pour la stabilité de l’emploi et la réindustrialisation de l’usine de Campi Bisenzio", publié dans les Cahiers de la Fondation Feltrinelli. Comme on le lit dans le rapport, le groupe a voulu élaborer le plan de réindustrialisation en suivant la trajectoire de développement durable prévue par les organisations internationales comme le GIEC et l’Agence Internationale de l’Energie.
Le cœur de ce projet, cohérent avec le PNRR (plan national de relance et de résilience), c’est la mobilité soutenable et la production d’énergie propre en partant d’une perspective synergétique du développement économique et social dans laquelle l’innovation technologique et la haute formation vont de pair avec la protection des terres et des communautés. Cette proposition représente une alternative concrète à une perspective de désindustrialisation certaine et de déclin validée par Artes 4. 0, un des centres de compétences créés en 2018 par le ministère du développement économique et chargés de promouvoir le transfert technologique du tissu productif, établissant des liens entre les universités et les entreprises.
Sortir de l’immobilisme
Malheureusement, ce projet n'a jamais été discuté ni au ministère ni par les institutions régionales, bien qu'il ait été présenté aux personnes directement concernées. Depuis plus de deux ans, le collectif de l’usine de Gkn demande à la politique de sortir de décennies d'inaction. Pour les travailleurs, qui ont célébré le 9 juillet dernier deux ans d’assemblée permanente, cette nécessité est devenue encore plus urgente après l'acquisition de l’usine par l'entrepreneur Francesco Borgomeo, dont l'arrivée en décembre 2021 a marqué le début d'une phase d'incertitude faite d'inaction, d'attente et de tables de négociation désertées.
Le plan de réindustrialisation de l’entrepreneur qui s’appelle de façon emblématique "QF Spa", la nouvelle GKN, "Qf" signifie "Quatre f" : confiance en l'avenir de l'usine de Florence (en italien fiducia nel futuro della fabbrica a Firenze) est rapidement ignoré. Comme l'a reconstitué le journal d'investigation Irpimedia, les promesses faites par Borgomeo - notamment l’investissement de quatre-vingts millions d'euros,"des productions sur mesure dans le secteur de la mobilité électrique" et la transformation de l’usine en un "centre de recherche et de développement très important, "parce que nous avons réussi à convaincre les grands acteurs industriels" - se sont évanouies au bout de quelques mois.
En février 2023, après un an de tables de négociations désertées par Borgomeo et des mois sans salaires, l’usine est mise en liquidation. Il faudrait se demander comment un projet industriel qui n'a jamais vu le jour a pu être annoncé à grand bruit alors qu'il manquait d'investisseurs. Le fait est que, même dans ce cas, les travailleur·ses ne sont pas restés les bras croisés et ont construit une alternative.
Les "projets"
Tout en continuant à faire appel à l'intervention publique, le collectif de l'usine et le groupe de recherche interdisciplinaire ont lancé en mars 2023 la campagne de financement du projet "GKN for future", qui a permis de récolter 175 000 euros en un peu plus d'un mois. Au cours des mois précédents, un dialogue avait été entamé avec une start-up germano-italienne souhaitant développer en Italie la production de panneaux photovoltaïques et de batteries de nouvelle génération en matériau organique, afin d'être compétitifs sur le marché et de réduire l’exploitation du Sud Global pour trouver les terres rares, indispensables à ces technologies.
Au-delà de cette initiative, c’est le projet de Cargo-bike comme moyen de transport idéal capable de repenser la logistique légère dans nos villes congestionnées et se mettre au service des nouvelles réalités des services de livraison éthique. Du point de vue du dispositif patronal, l’usine publique et intégrée socialement à laquelle aspirent les ouvrièr··es de l’usine de Campi Bisenzio a pris la forme d’une coopérative, avec une activité mutualiste prévalente et à laquelle les personnes qui l'ont défendue prennent part : une réalité éco-durable dans laquelle le premier actionnaire est le territoire et ses réseaux de solidarité.
C'est ce que permet la loi Marcora de 1985, qui facilite la création de nouvelles coopératives par les travailleur·ses des entreprises en crise ou en liquidation, dans le but spécifique de leur permettre de ne pas accepter un chômage imposé et de ne pas recourir aux amortisseurs sociaux, qui représentent un coût pour l'État. Les entreprises récupérées par les travailleurs sont gagnantes, écrivent Paola De Micheli, Stefano Imbruglia et Antonio Misiani dans Se chiudi, ti compro (Guerini e Associati, 2017). La loi Marcora, après tout, est un outil efficace de politique active, capable d'”éviter le risque de dépérissement industriel" et d'"encourager le redémarrage du capitalisme territorial italien" sans recourir à des amortisseurs sociaux.
Dans le cas GKN, la loi permettrait essentiellement au site de Campi Bisenzio de devenir un pôle de la mobilité durable et de la logistique décarbonée, et libérerait l’État des coûts des subventions et de l’assistance. Pour cela, le collectif de l’usine a institué la campagne pour l’actionnariat populaire "100x10. 000", qui vise à collecter 1 million d'euros d'ici la fin de l'année pour permettre aux personnes et aux organisations qui le souhaitent de faire partie intégrante de ce projet et de contribuer à la mise en œuvre complète du plan industriel. À la place du bain de sang fait de licenciements et de chômage auxquels les territoires de l’industrie automobile semblent destinés, l'alliance entre la lutte des travailleur·ses, les mouvements écologistes et le monde de la recherche a permis de planifier et même, dans certaines limites, de trouver les financements nécessaires pour redonner une perspective de développement durable aux territoires concernés.
C’est pour cette raison que l'entretien de Bergamotto est surprenant dans ce contexte. C'est à la région de se réindustrialiser, déclare le sous-secrétaire, porte-parole du gouvernement. Le gouvernement devrait intervenir et ne pas se décharger de ce différend sur le territoire, répond le président de la région Toscane, Eugenio Giani. Cela ressemble à une mauvaise partie de ping-pong, mais c'est une nouvelle et tragique page de la déresponsabilisation politique dans laquelle les institutions prétendent que la gestion du travail et de la réindustrialisation ne relève pas de leur responsabilité.
Il est clair que nous nous trouvons à un moment décisif. Alors que Bergomeo rompt le silence et annonce la réouverture imminente des procédures de licenciement de l’ex GKN, il faut décider si l’on veut voir l’usine devenir l'énième victime d’une longue tradition d’immobilisme institutionnel ou pire. Il y a deux possibilités : soit laisser l'inaction du gouvernement condamner une autre région au chômage et à la crise sociale, comme cela s'est déjà produit trop souvent, soit soutenir le collectif de l’usine dans sa tentative de défendre l'économie réelle et le travail contre les délocalisations sauvages. C’est l’objectif que s'était fixé, en paroles, l'actuelle première ministre. Et qui peut encore être atteint, pour donner un autre avenir au territoire et à nous tous.
Mettre fin à toute complicité, arrêtez d’armer Israël
Nous relayons cet appel de nombreux syndicats palestiniens qui invite à participer activement à la solidarité internationale. Cette campagne a d'ores et déjà des échos au Royaume-Uni, en Belgique, en Italie et en Espagne.
Israël a exigé qu'1,1 million de Palestinien·nes évacuent la moitié nord de Gaza alors qu’ils subissent des bombardements constants. Cette action impitoyable fait partie du plan d’Israël, qui a le soutien inconditionnel et la participation active des États-Unis et de la plupart des États européens, de mener des massacres sans précédent et atroces contre 2,3 millions de Palestinien·nes à Gaza et pour les nettoyer ethniquement et une fois pour toutes. Depuis samedi, Israël a bombardé Gaza de manière aveugle et intensive, coupant le carburant, l’électricité, l’eau, la nourriture et les fournitures médicales. Israël a tué plus de 2600 Palestinien·nes, dont 724 enfants, démolissant des quartiers entiers au ras du sol, anéantissant des familles entières et faisant plus de 10 000 blessé·es. Certains spécialistes en droit international ont commencé à mettre en garde contre les actes génocidaires commis par Israël.
Par ailleurs, le gouvernement de droite d’Israël a distribué plus de 10·000 fusils aux colons extrémistes en Palestine avant 1948 et en Cisjordanie occupée pour faciliter de nouvelles attaques et des pogroms contre les Palestinien·nes. Les actions, les massacres et les discours d’Israël indiquent son intention de mettre en œuvre sa deuxième Nakba promise de longue date, en expulsant autant de Palestinien·nes que possible et en créant un “Nouveau Moyen-Orient” dans lequel les Palestiniens·vivent perpétuellement dominé·es.
La réponse des États occidentaux a été un soutien total et absolu à l’État d’Israël, sans même un clin d’œil superficiel aux lois internationales. Cela a amplifié l’impunité d’Israël, lui donnant carte blanche pour mener sa guerre génocidaire sans limites. En plus du soutien diplomatique, les États occidentaux fournissent à Israël des armes, en sanctionnant l’opération des entreprises d’armement israéliennes à l’intérieur de leurs frontières.
Alors qu’Israël intensifie sa campagne militaire, les syndicats palestiniens appellent nos homologues internationaux et tous les peuples conscients à mettre fin à toute forme de complicité avec les crimes d’Israël, en arrêtant de toute urgence le commerce des armes avec Israël, ainsi que tout financement et toute recherche militaire. Il est maintenant temps d’agir. Les vies palestiniennes sont en danger.
Cette situation d’urgence génocidaire ne peut être stoppée que par une augmentation massive de la solidarité mondiale avec le peuple palestinien qui puisse arrêter la machine de guerre israélienne. Nous avons besoin que vous agissiez immédiatement, où que vous soyez dans le monde, pour empêcher l’armement de l’État d’Israël et l’action des entreprises impliquées dans l’infrastructure du blocus. Nous nous sommes inspirés des mobilisations précédentes menées par des syndicats en Italie, en Afrique du Sud et aux États-Unis, et des mobilisations internationales similaires contre l’invasion italienne de l’Éthiopie dans les années 30, contre la dictature fasciste du Chili dans les années 70 et partout où la solidarité mondiale a limité l’étendue de la brutalité coloniale.
Nous appelons les syndicats industriels importants à :
Refuser de produire des armes destinées à Israël.
Refuser de transporter des armes pour Israël.
Voter des motions dans leurs syndicats à cet effet.
Prendre des mesures contre les entreprises complices impliquées dans la mise en œuvre de l’encerclement brutal et illégal par Israël, surtout si elles ont des contrats avec votre institution.
Faire pression sur les gouvernements pour arrêter tout commerce militaire avec Israël et dans le cas des États-Unis, pour le financer.
Nous lançons cet appel, car nous voyons des tentatives d’interdire et de réduire au silence toute forme de solidarité avec le peuple palestinien. Nous vous demandons de faire entendre leur voix et d’agir à la lumière de l’injustice, comme les syndicats l’ont fait historiquement. Nous lançons cet appel dans la conviction que la lutte pour la justice pour la Palestine et la libération n’est pas seulement une lutte déterminée aux niveaux régional et mondial. C’est un levier pour la libération de tous les dépossédés et exploités du monde.
Le 16 octobre 2023
Signataires :
Fédération générale des syndicats palestiniens — Gaza
Syndicat général des travailleurs des services publics et du commerce
Syndicat général des travailleurs municipaux
Syndicat général des travailleurs d’école maternelle
Syndicat général des travailleurs de la pétrochimie
Syndicat général des travailleurs agricoles
Union des Comités des Femmes Palestiniennes
Syndicat général des travailleurs de la presse et de l’imprimerie
Fédération générale des syndicats palestiniens (PGFTU)
Syndicat général des enseignants palestiniens
Syndicat Générale des Femmes Palestiniennes
Syndicat Générale des Ingénieurs Palestiniens
Association des comptables palestiniens
Fédération des associations professionnelles qui compris
Association dentaire de Palestine – Centre de Jérusalem
Association pharmaceutique palestinienne – Centre de Jérusalem
Association Médicale – Centre de Jérusalem
Association des Ingénieurs – Centre de Jérusalem
Association des ingénieurs agronomes – Centre de Jérusalem
Syndicat des vétérinaires – Filiale de Jérusalem
Syndicat des journalistes palestiniens
Association des avocats Palestiniens
Association des infirmières et sage-femmes palestiniennes
Syndicat des travailleurs d’écoles maternelles
Syndicat des travailleurs des services postaux palestinien
Fédération des syndicats d’enseignants et d’employés des universités palestiniennes
Fédération Générale des Syndicats Indépendants
Nouvelle Fédération des syndicats palestiniens
Syndicat général des écrivains palestiniens
Syndicat des entrepreneurs palestiniens
Fédération des syndicats de professionnels de la santé
Syndicat palestinien des psychologues et des travailleurs sociaux.
Occupation is a Crime : sur la manif du 11 novembre à Londres
Le mouvement pour la justice et la paix en Palestine est particulièrement puissant au Royaume-Uni. À l'occasion de la manif du 11 novembre à Londres, ce texte esquisse la composition et les potentialités de ce mouvement.
Le 11 novembre à Londres s’est tenue une grande manifestation qui a réuni 800 000 personnes pour demander un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Cette manifestation s’est donc tenue en concomitance de l’Armistice Day, jour férié également en France qui est devenu une sorte de célébration patriotique universelle comme l’a attesté la célébration organisée par Macron en 2018.
Le ministère de l’intérieur britannique dans un geste “darmanien” a tenté de faire interdire cette manifestation, mais il semble que les décisions du ministère de l’intérieur qui visent à réprimer les libertés publiques ne soient pas aussi incontestables de l’autre côté de la Manche puisque la Metropolitan Police a décidé d’autoriser la manifestation. Suella Braverman (la ministre de l'intérieur de l'époque) et Rishi Sunak ont tout fait pour disqualifier la manifestation, qualifiant une manifestation pour la paix qui se tient un jour d’Armistice d’outrage, et d’ajouter qu’il s’agissait d’une marche de haine. Effectivement, les tentatives ridicules de cette ministre ont vraisemblablement amené de nombreux·ses participant·es à exhiber de nombreuses pancartes de haine … mais à son égard. La seule action de Braverman aura été de motiver de nombreux fascistes britanniques, issus principalement du hooliganisme et de l’English Defence League à être présents en masse à Londres. Ces derniers se sont véritablement mobilisés sur des mots d’ordres gouvernementaux, en particulier pour protéger le cénotaphe. Ces fascistes s’étaient en effet mis dans la tête que le but des centaines de milliers de manifestant·es solidaires du peuple palestinien était d’attaquer ce fameux cénotaphe.
Le fait frappant et majeur de cette manifestation, c’est que la demande politique de ces 800 000 personnes (soit la plus grande manifestation depuis les manifestations anti-guerre en Irak de 2003 au Royaume-Uni) n’ont actuellement presque aucun relai politique : la direction du parti travailliste (actuellement dans l'opposition) ne demande absolument pas de cessez-le-feu. Il n’y a pas aujourd'hui en Grande Bretagne de place dans la politique parlementaire pour ces mouvements qui partent d’en-bas. Ce phénomène était déjà très manifeste à l’automne dernier lors d’une très importante vague de grève qui avait abouti à des augmentations de salaires qui n’ont pas rattrapé l’inflation1, le mouvement syndical peinait déjà à trouver une expression politique de ses revendications après la purge du parti travailliste qui a eu pour conséquence de mettre à la tête du plus vieux parti ‘ouvrier’ du monde ses éléments les plus capitulards, voire de ressusciter les fantômes néo-libéraux et néo-conservateurs des années 2000 comme Tony Blair.
Il faut dire que du côté des syndicats, il se passe pas mal de choses en solidarité avec la Palestine au Royaume-Uni. La campagne de blocage des armes2 est très relayée et après le blocage d’une usine d’armement dans le Kent, des syndicalistes ont remis le couvert avec un blocage de l’usine de BAE Systems à Rochester. Plus de 400 militant·es syndicaux ont bloqué cette usine qui produit les systèmes de visée utilisés par les F-35 qui bombardent actuellement Gaza. Les travailleur·ses qui participent à cette campagne sont là pour rappeler les crimes dont se rendent complices ces entreprises. Les camarades ont réussi à empêcher l’usine de fonctionner pendant quelques heures. Les travailleurs, pour beaucoup musulmans, sont très réceptifs au discours porté par les syndicalistes. À un niveau plus symbolique, on a vu Mick Lynch faire adopter des motions au sein du syndicat des transports publics (RMT) pour que ses adhérent·es puissent refuser la participation à l'effort de guerre israélien. Le fait que des syndicats se décident à porter ces questions est quelque chose de très important au Royaume-Uni. Cela permet de repenser la place du syndicalisme dans la lutte de classe alors que le système social impose à la lutte syndicale de se préoccuper avant tout des questions liées directement au lieu de travail. La question palestinienne est une fois de plus dans l'histoire un vecteur de politisation des mouvements de travailleur·ses.
Cependant, il ne faut pas limiter l’organisation par en bas au monde syndical dans la très belle manif londonienne du 11 novembre. De nombreux groupes communautaires, de quartiers, de lieux de cultes étaient présents en masse et de tous les coins du pays. À titre d’exemple, 25 bus étaient affrétés depuis Birmingham pour se rendre à Londres. Cela a rendu possible une manifestation à la composition très mixte et intergénérationnelle. La dénonciation des crimes du colonialisme et en particulier de l’occupation israélienne de la Palestine prend une résonance particulièrement forte et émouvante dans cette foule réunie dans la capitale de ce qui fut le plus grand empire colonial du monde. C’est précisément cela que Suella Braverman voulait empêcher, comme l’explique Ashok Kumar, en effet, la franges droites du parti conservateur britannique refusent aujourd'hui le caractère multiculturel de la société britannique qui par ses aspirations entre en contradiction avec la poursuite du projet impérialiste britannique.
Il faut avoir conscience que c’était une immense manifestation, probablement la plus grande que les camarades n’ayant pas connu le mouvement contre la guerre en Irak aient jamais vue. Elle a eu son lot d'effets, je dois dire que c'est, pour ma part, la première fois que je vais à une manif qui entraîne la chute du ministre de l'intérieur. Il ne faudrait quand même pas que ce remaniement ministériel nous donne trop d'espoir, il aura surtout été l'occasion d'un come back pour l'inénarrable David Cameron. Le parlement britannique n'a pas non plus voté pour le cessez-le-feu malgré le ralliement de certain·es parlementaires travaillistes à ce mot d'ordre. Il semble quand même que le mouvement actuel soit beaucoup plus politique que celui de 2003; les prochaines semaines de mobilisations dans ce centre politique et historique de l'impérialisme seront importantes.
Je remercie tous·tes mes camarades d'outre-Manche pour les discussions stimulantes que j'ai eu avec elleux et sans lesquelles je n'aurais pas pu écrire cet article. Les analyses qui y sont présentées ne les engagent pas.
On pourra retrouver une traduction en Français de l'appel ici↩︎
Les travailleurs dans la transition écologique. Financer la campagne d'actionnariat populaire de l'usine GKN de Florence
Les travailleur·ses de l'usine ex-GKN de Florence occupent leur lieu de travail depuis plus de deux ans pour empêcher délocalisation et licenciements. Après avoir rédigé un programme de bifurcation écologique, le "plan pour l'avenir", iels lancent désormais une campagne d'actionnariat populaire pour poursuivre la production et maintenir les emplois sans dépendre du capital financier. Ce projet de coopérative suppose qu'un grand nombre de personnes achète des actions afin de socialiser la production. Les actionnaires disposent de 5 voix maximum dans les assemblées et touchent une fraction des bénéfices. Iels permettront surtout le passage à une usine soutenable, intégrée et autogérée.
Les travailleur·ses de l'usine ex-GKN de Florence avec leurs soutiens militants lancent un appel à souscrire à leur plan d'actionnariat populaire. Iels expliquent le projet financier permettant de soutenir la reconversion écologique et autogestionnaire de leur usine. N'importe qui peut acheter des actions, seul·e ou collectivement.
Devenez membre de la coopérative ! Après deux ans de planification collective et participative inlassable pour la réindustrialisation de l’ancienne usine GKN, le moment décisif est peut-être arrivé. Nous appelons tous les réseaux de solidarité à travers le monde à soutenir la coopérative et rejoindre le projet.
Pour devenir membre :
Envoyer une demande au conseil d’administration pour réserver des actions. Elles sont de 100€ chacune, mais le minimum pour souscrire est de 500€ avant le 31/12/23.
Après que votre demande ait été acceptée, ne payer le montant total que si le projet se réalise.
Dans les 15 jours qui suivent l’encaissement de la somme totale, vous serez inclus·e parmi les membres.
Chaque membre aura entre 1 et 5 votes lors des assemblées de la coopérative, en fonction du nombre de parts sociales acquises. Les financeur·ses peuvent représenter au maximum un tiers des membres.
Vous, les membres financeur·ses, percevrez une rémunération fixe de 0,25% par an. Au cours de l’exercice qui se termine par un bénéfice, cette rémunération est complétée par une rémunération supplémentaire égale au taux moyen des bons d’épargne de la poste à trois ans rémunérées au cours de l’année concernée, majoré d’une marge de 0,25%.
Si vous voulez faire un don sans acquérir d'action, vous pouvez l'envoyer à SOMS INSORGIAMO, dont l'IBAN est IT5E0501802800000017261280.
Si un collectif qui n'a pas de compte en banque souhaite acquérir des actions, ses membres peuvent acheter des actions et demander à être représenté·es collectivement aux assemblées.
Si le projet ne se poursuit pas, vous pouvez récupérer votre investissement après le retrait de la coopérative. Et après 4 ans, vous avez le droit de vous retirer.
La dictature minière en temps de démocratie électorale
Nous traduisons un texte portant sur la répression des opposant.es à l'extractivisme en Argentine en prévision d'un événement de soutien à ces luttes dans la province de Jujuy, une zone très riche en lithium appelée le triangle du Lithium et située entre l'Argentine, le Chili et la Bolivie.
De Catamarca à Chubut, de puissantes entreprises violent les droits de l'homme avec la complicité des politiques institutionnelles. Ce qui rend l'extractivisme et la démocratie incompatibles. Notes depuis l'un des territoires sacrifiés d'Argentine.
L'affiche en carton peinte à la main que tient une femme traversant la place principale d'Andalgalá, dans la province de Catamarca, annonce : "La dictature minière, ça suffit !". D'autres affiches, portant la même légende, apparaissent au-dessus de la tête d'autres habitant.e.s qui, comme elle, participent à ce rite de dénonciation et de résistance qui se répète, comme chaque samedi, sur le territoire où a été ouverte la première mine à ciel ouvert du pays et où, aujourd'hui, un autre projet s'avance sur ses rivières ou - ce qui revient au même - sur sa survie.
Dictature. Ce mot. Le dictionnaire le définit comme le "régime politique qui, par la force ou la violence, concentre tous les pouvoirs sur une personne ou un groupe ou une organisation et réprime les droits de l'homme et les libertés individuelles". L'imaginaire collectif l'associe, douloureusement et immédiatement, aux coups d'État civico-religieux-militaires qui ont eu lieu, dans une cruauté extrême, entre 1976 et 1983 en Argentine.
Peut-être à cause des crimes aberrants du dernier coup d'État, entendre parler de "dictature minière" met mal à l'aise certains, suscite des controverses, voire choque d'autres. Cependant, dans ce mot hostile, les peuples et les assemblées socio-environnementales ont trouvé un moyen de nommer la toile du pouvoir économique (sociétés transnationales), politique (gouvernements) et judiciaire qui viole leurs territoires, leurs droits et leurs libertés pour favoriser les entreprises et les intérêts personnels. En pleine démocratie électorale.
Il n'y a pas de coup d'État qui initie cette dictature. L'absence de cet acte fondateur est peut-être l'une des raisons pour lesquelles cette prise de pouvoir illégale, camouflée par des manifestations périodiques de suffrage et des discours creux, est invisible.
Parler de dictature, c'est aussi souligner l'absence de démocratie ou de l'idéal qu'elle représente : division des pouvoirs, garantie des droits fondamentaux, primauté de la loi et souveraineté nationale. Parler de dictature, c'est donc dénoncer la corruption des pouvoirs étatiques, la violation des droits de l'homme, le mépris systématique des lois et la perte de souveraineté sur les territoires.
Les restes de la dictature
Le rétablissement de la démocratie en 1983 n'a pas signifié l'élimination immédiate de toutes les pratiques violentes que l'État militaire avait naturalisées. Certaines se poursuivent subrepticement, d'autres sont masquées par une prétendue légalité et même applaudies par des responsables "démocratiques", ce qui rend ce système encore plus pervers. La violence armée exercée par l'État pour réprimer les manifestations sociales est la plus évidente de ces pratiques.
Des balles, des matraques, des gaz lacrymogènes et même des chiens d'attaque dressés ont été lancés sur des hommes, des femmes et des enfants non armés qui bloquaient une route communautaire en février 2010 pour empêcher deux projets miniers de les chasser de chez eux à Andalgalá.
La loi est une toile d'araignée
"Elle n'est pas redoutée par les riches,/ elle n'est pas redoutée par les responsables,/ parce qu'elle touche la grande cible/ et ne fait que chatouiller les enfants". C'est ainsi que "el moreno" définit la loi, ce personnage anonyme, identifié uniquement par sa peau noire, qui affronte Martín Fierro dans une farce. Bien que publiés il y a 150 ans, ces vers n'ont pas perdu leur validité. La balance penchée et le bandeau baissé, la magistrature accélère ou classe les affaires, durcit ou supprime les peines, selon le plaignant.
À Andalgalá, une centaine de dossiers ont été ouverts contre des personnes qui s'opposent à la cession d'eau pour l'exploitation minière. Trois de ces affaires font actuellement l'objet d'une mise en examen. À Chubut, cinq membres de l'assemblée ont failli être jugés pour avoir entravé les transports publics lors des manifestations déclenchées lorsque le corps législatif a rejeté, sans aucune audition, l'initiative populaire qui, avec 30 000 signatures, demandait l'interdiction des méga-mines. À Jujuy, en un temps record, la justice a inculpé, jugé et condamné un avocat pour les délits présumés d'incitation à la protestation et de sédition.
Cette agilité contraste avec la sclérose du système judiciaire face aux entreprises minières ou leurs fonctionnaires serviles. À San Juan, des procès sont toujours en cours contre d'anciens fonctionnaires pour le déversement dans cinq rivières de plus d'un million de litres de solution cyanurée en 2015. Aucun dirigeant de Barrick Gold ne figure sur la liste.
À Tucumán, deux anciens cadres de Minera Alumbrera jouissent de l'impunité dans un procès concernant la contamination du réservoir Salí-Dulce. Alors que tout était prêt pour le procès - curieusement - le même procureur qui l'avait préparé a demandé le renvoi de l'un des accusés.
À Andalgalá, les machines du projet MARA (Glencore) avancent sur les rivières et les glaciers, tandis que les procès intentés pour les arrêter dorment dans les bureaux de Comodoro Py et de la Cour suprême de justice.
Détentions illégales et torture
Dans une décision qui ressemble davantage à un argument de la défense, la juge Karina Breckle a acquitté il y a quelque temps quatre policiers accusés de violences à l'encontre de membres de l'assemblée de Chubut lors de leur arrestation en décembre 2019. La menace de transformer les victimes en "un autre Santiago Maldonado" a été minimisée dans un pays qui a compté 30 000 "desaparecidos" en période de dictature et plus encore en période de démocratie.
En avril 2021, douze personnes ont été privées de liberté pendant quinze jours à Andalgalá. Elles n'avaient pas de casier judiciaire et ne risquaient pas d'être poursuivies. Il n'y avait aucune preuve les incriminant pour d'autres actes que la marche pour protester contre l'augmentation du nombre de foreuses dans le bassin fluvial.
L'usage excessif de la violence policière contre les corps et les maisons, les conditions inhumaines de détention en pleine pandémie et la torture psychologique ont été signalés au bureau du procureur général de la province et à diverses organisations de défense des droits de l'homme. Elles attendent toujours des réponses.
La violence récompensée
Non seulement il n'y a pas de condamnation pour les auteurs de passages à tabac et de fusillades mais il y a des récompenses pour ceux qui les ordonnent ou les approuvent depuis le confort de leur bureau.
En décembre 2019, José Eduardo Perea (Frente de Todos) a reçu un cadeau de Noël paradoxal : une nomination en tant que superviseur par le ministère de la Justice et des Droits de l'homme. Perea, l'ancien maire d'Andalgalá et responsable politique de la répression de 2010, celui-là même qui dans une interview avait anticipé le passage des machines vers le réservoir d'Agua Rica avec une menace explicite : "qui touche, prend un coup". Et c'est ce qui s'est passé : les tirs et les coups n'ont pas fait de distinction entre les femmes et les hommes, les personnes âgées, les adultes et les enfants.
Mariano Arcioni, qui a accédé au poste de gouverneur de Chubut en prononçant un discours contre les méga-mines a, une fois au pouvoir, promu la loi de zonage minier et ordonné la répression qui a maintenu Chubut dans un quasi état de siège pendant une semaine de manifestations. Sa trahison de la volonté du peuple a également été récompensée : l'Unión por la Patria l'a inclus comme pré-candidat dans ses listes et il occupera désormais un bureau au Parlasur.
Les échos des répressions à Jujuy ne s'étaient pas encore éteints lorsque Horacio Rodríguez Larreta a proposé Gerardo Morales comme pré-candidat à la vice-présidence de Cambiemos. Il n'a pas eu cette chance et l'ODEPA l'a écarté.
À Catamarca, des répressions ont eu lieu sous les gouvernements d'Eduardo Brizuela del Moral (radicaliste), de Lucía Corpacci et de Raúl Jalil (péroniste). À Mendoza, il n'y a pas eu de division entre les partis, même lors du vote sur l'amendement de la "loi sur la protection de l'eau".
Comme on peut le constater, il n'y a pas de division entre les partis en ce qui concerne l'extractivisme. Le clivage sépare plutôt les dirigeants et les élus - quelle que soit leur appartenance politique - des peuples en résistance.
La loi : couper et coudre
La législation répond également aux caprices des entreprises et des gouvernements. S'ils s'en mêlent trop, un élu complaisant avec le lobby minier prend le relais. C'est ce qui s'est passé avec la loi nationale sur les glaciers, à laquelle Cristina Fernández Kirchner a opposé son veto en 2009 : la loi 7722 que l'Assemblée législative de Mendoza a assouplie en 2019 ou l'ordonnance 029/16 que la Cour de justice de Catamarca a déclarée anticonstitutionnelle en 2020. La pression sociale a permis de rétablir les deux premières : la dernière attend toujours la décision de la Corte Suprema de Justicia.
D'autres fois, rapidement et sans le rendre public, les législateurs présentent et adoptent des lois qui favorisent l'activité. C'est ce qu'il s'est passé avec la loi sur le zonage minier à Chubut - finalement révoquée - et c'est ce qu'il se passe avec un ensemble de lois à Río Negro.
Résister dans la tempête
Extractivisme et démocratie ne sont pas compatibles : là où la méga-mine avance, les droits de l'homme reculent. C'est pourquoi, comme le dénoncent les assemblées socio-environnementales, la méga-mine ne peut se faire que par la répression.
Il n'y a pas de démocratie quand un peuple est privé de ses droits humains d'accès à l'eau ou à vivre dans un environnement sain. Il n'y a pas de démocratie lorsque leur sacrifice et leur destin sont décidés par des bureaux hermétiques et distants. Il n'y a pas de démocratie lorsqu'un peuple se voit refuser l'autodétermination.
Mais il n'y a pas non plus de défaite lorsqu'il y a lutte. De même qu'en pleine dictature militaire, les mères et les grands-mères affrontaient la violence des fusils avec leurs mouchoirs blancs, aujourd'hui, sur les places, dans les rues et sur les routes, d'autres mères, d'autres grands-mères, leurs enfants et leurs petits-enfants se battent avec leurs bannières, leurs drapeaux et leurs chants contre cette nouvelle dictature déguisée.
Traduction de Strike.
Texte initialement paru le 9 décembre 2023 sur Revista Citrica
La mine de lithium à la loupe : violations des droits et saccages à Fiambalá
En prévision d'un événement de solidarité avec les luttes contre l'extractivisme en Argentine, nous publions deux textes qui présentent la situation politique dans les régions minières en Argentine.
À Fiambalá (dans la région de Catamarca), le processus vertigineux d’exploitation de lithium qui s’est implanté annonce un changement d’époque. Usines de transformation à côté d’hôpitaux, camions et camionnettes qui circulent à pleine vitesse dans la petite ville, flambée des prix des denrées de base et des loyers, précarisation de l’emploi, problème de santé, pollution et manque d’eau sont quelques-uns des impacts dans la vie quotidienne des habitants de la ville de l’ouest catamarqueño.
Alors que les premiers projets d’exploitation du lithium – approuvés dans le département de la ville d’Antofagasta de la Sierra – font leur possible pour passer inaperçus, cacher leur impact et disparaître de la carte, à Fiambalá, le mégaprojet « Tres Quebradas » (les trois Gorges), impulsé aujourd’hui par l’entreprise chinoise Liex Zijin montre une stratégie différente et met ostensiblement en avant ses irrégularités, la participation de l’entreprise dans le pouvoir local et la violence explicite contre celleux qui résistent.
Cette impunité permet aussi de nouvelles formes de relations avec la communauté locale. Au cours de l’année dernière, plusieurs plaintes ont été déposées contre la précarisation des travailleur.ses qui se trouvent dans les salars, soulignant le fait qu'ils n’ont souvent pas d'eau pour se désinfecter et qu’ils ne disposent pas de l'équipement nécessaire pour manipuler les produits chimiques.
Une des principales plaintes des travailleur.ses de la mine porte sur les conditions de travail : bas salaires, plus de douze heures de travail journalier et absence d’équipement de base. En même temps, les mauvais traitements quotidiens infligés à la population par les entrepreneurs et les travailleur.ses d’origine chinoise créent une distance inhabituelle par rapport aux stratégies ordinaires de marketing d’entreprise.
Deux millions de litres d’eau sont requis par tonne de chlorure de lithium. Ce projet requiert 40 millions de litres d’eau par an.
L’installation du mégaprojet Tres Quebradas fut initiée par l’entreprise Liex S.A. (filiale de Neo Lithium, d’origine canadienne) en 2017. Depuis novembre 2021, elle est gérée par l’entreprise chinoise Liex Zijin et la population alerte sur des changements radicaux.
Le mégaprojet comprend onze propriétés minières, réparties sur plus de 30 000 hectares et qui a pour objectif, dans un premier temps, l’extraction de 20 000 tonnes de carbonate de lithium par an.
L’entreprise Zijin est la principale productrice de minéraux en Chine et cherche à devenir une des trois principales compagnies minières dans le monde d’ici 2030. Comme l’expliquent Ruido et Fundeps dans leur rapport « Lithium et transparence » (Litio y transparencia), le géant asiatique est l’un des pays qui investit le plus dans le lithium en Argentine. Au total, en 2022, les provinces de Catamaraca, Jujuy et Salta y ont exporté 292 millions de dollars. Par ces chiffres, nous pouvons observer une tendance des entreprises chinoises à acquérir et gérer des projets de lithium dans le pays.
En plus de la Chine, le Japon et la Corée du Sud constituent les seconds investisseurs les plus importants au cours de l’année passée (2022). Dans ce contexte, le cas Fiambalá, au travers de l’arrivée de Zijin, pourrait servir d’exemple pour connaître les intentions de la Chine et sa façon d’agir. Un pays en passe de se constituer un monopole de la production de lithium et de devenir le principal exportateur pour ses partenaires du Pacifique.
Le plan est parfait pour les investisseurs : extraire le lithium de la zone de Tres Quebradas, un salar adossé aux montagnes à 100 kilomètres de la ville de Fiambalá, y effectuer son premier traitement et l’acheminer, sous forme préconcentrée, à l’usine (aujourd’hui en construction), située à la sortie de la ville. Une fois traité, le carbonate de lithium sera expédié à travers le Pacifique par le col de San Francisco au Chili. Tout cela dans une province qui accorde les libertés suffisantes pour que les entreprises puissent développer leurs projets et ne souffrent pas trop économiquement, puisqu’elles ne paient que 3,5% d’impôts sur la valeur déclarée.
Le réveil de Fiambalà
En raison de la rapidité de mouvement et de son implication pour toutes les couches sociales de la population, il s’agit d’un moment très complexe pour celleux qui défendent les territoires et résistent à l’avancée des projets d’extraction. Parmi eux, l’Assemblée Socio-environnementale Fiambalá Réveille-toi (Fiambalá Despierta), un groupe de voisins et de voisines qui s’organise depuis 2016, depuis que la rumeur de l’installation de la mine a commencé à circuler.
Ses membres expliquent qu’ils gagnent des forces depuis qu’ils ont essayé d’empêcher l’entreprise d’entrer dans leur ville en 2018. « Nous savions que s’ils entraient, ce serait pire, c’est pourquoi nous avons organisé un blocus avec quelques femmes », se rappelle Nicolasa Casas de Salazar, une des membres historique de l’assemblée.
Aujourd’hui, l’usine pilote située dans le centre-ville – à quelque mètres de l’hôpital – produit déjà du carbonate de lithium. Les membres de l’assemblée ont écrit plusieurs notes pour demander les informations qui leurs sont dues en tant que personnes respirant le même air, mais ils n’ont cependant reçu aucune réponse. En novembre 2022, toute la population a été malade pendant plus d’un mois, avec des vomissements, des éruptions cutanées, des nausées et d’autres problèmes similaires. Pour cette raison, l’usine pilote a été fermée pendant un certain temps, mais les causes de cette maladie n’ont pas été révélées jusqu’à présent.
Dans le cas de la nouvelle usine située à la sortie de la ville, où le carbonate de lithium sera finalement produit, la situation n’est pas meilleure. « Nous pouvons voir qu’ils font plus de piscines qu’annoncé, nous le savons parce qu’elles sont visibles depuis toute la ville ; nous pouvons aussi voir comment ils retirent la terre pour avancer rapidement dans les travaux et quand le vent se lève à midi, nous ne pouvons rien voir à cause de la poussière. Ils font beaucoup de mouvements, et tout est flou », déclare Willie Carrizo, artiste et membre de l’assemblée.
Chaque tonne de chlorure de lithium nécessite 2 millions de litres d’eau. Pour ce projet, il y aurait besoin de 40 millions de litres d’eau par an. Pour donner une idée, cette consommation équivaut à l’eau qu’utiliserait une personne pour faire la vaisselle deux fois par jour pendant plus de 10 000 ans. D’après l’Assemblée, l’entreprise Zijin a jusqu’à présent installé au moins trois puis souterrains.
« Ils extraient beaucoup d’eau ; il n’y a pas de données historiques sur l’impact d’un tel usage des nappes phréatiques, en particulier dans une zone désertique comme l’est Fiambalá », ajoute l’ingénieure environnementale et membre de l’assemblée Lis Sablé.
Zone de promesse
Ils sont arrivés, et ils ont promis des emplois, du progrès (ou de la croissance), et des bons salaires. Mais la réalité est toute autre et les gens commencent à se sentir mal à l’aise », explique Sablé. Moins d’un an après son annonce, l’usine de carbonate de lithium est déjà en place et les travaux progressent rapidement. « C’est le moment de la bonté minière (Bondad minera) », explique Lis en référence au contexte actuel : « lorsqu’ils auront terminé les travaux, tous les gens qui sont actuellement employés se retrouveront au chômage ».
L’Assemblée Fiambalá Despierta est un pacte générationnel où se rencontrent militant.e.s historiques et jeunes curieuxses. Alors que les uns se préoccupent de l’avenir des enfants et de la vie dans cette ville, les jeunes – en ce moment – choisissent de s’organiser pour être celleux qui prennent elleux-mêmes les décisions à propos de leurs propres vies. « Je me suis rapprochée de l’assemblée pour être informée, pour décider si je veux vivre ici, si je veux avoir des enfants » explique Karen Perea, une jeune membre de l’assemblée.
Choisir, dans un territoire où le scénario est déjà écrit par les intérêts des entreprises minières ne semble pas facile. S’organiser et se rendre visible comme faisant partie d’un espace collectif peut impliquer la perte d’offre d’emploi dans le domaine privé comme dans le domaine public, puisque la complicité entre ces deux pouvoirs est un fait. « C’est très difficile, parce que la mine est entrée dans les écoles de niveau secondaire via les bourses qu’elle verse en collaboration avec la municipalité, de sorte que les jeunes considèrent que c’est la seule façon de s’en sortir », nous signalent des membres de l’Assemblée.
« Certains jeunes sont très inquiets et conscients de ce qu’il se passe, mais ils manquent de soutien, déplore Nicolasa Casas de Salazar. L’agricultrice de Fiambalá explique que de plus en plus d’écoles tertiaires ferment et que les jeunes n’aspirent plus qu’à des études de « santé et sécurité » ou d’ingénierie qui pourrait intéresser la compagnie minière.
« Nous, nous pensons aux générations futures. Ils nous prennent tout, ce qu’ils font est très agressif », décrit Nicolasa. Elle rappelle aussi que « nous dépendons de l’eau, nous devons boire pour vivre, nous devons arroser les plantes et prendre soin de nos animaux ».
Sans zone humide, il n'y a pas de vie
Tres Quebradas fait partie du système des lacs des hautes Andes de la Puna altoandines et de la Puna, une zone qui soutient l’équilibre de toute une biodiversité bien spécifique. C’est pourquoi il s’agit d’une zone protégée en vertu de la loi 5070 de Catamarca, qui fait partie d’un réseau de zone humides reconnue internationalement comme étant un sous-site de Ramsar Sud. La zone compte six lacs (des genres de lac en altitude qui bougent, NDLR) qui, grâce à leur écosystème si particulier, permettent la subsistance d’espèces rares et en voie de disparition, comme le flamant andin.
Pour Patricia Marconi, biologiste et membre de la Fondation Yuchán et du groupe de conservation des flamants altoandins, les salars altoandins « sont très précieux pour les communautés d’oiseaux en raison de la diversité des habitats qu’ils génèrent, du nombre de lacs, leur taux de salinité différents les caractéristiques physiques variées des cours d’eaux existants ». Mme Marconi explique que toute modification du territoire « peut avoir des conséquences irréversibles ».
La biologiste souligne qu’en raison de leur capacité à conserver l’eau sous terre, les salars fonctionnent comme des zones humides de haute altitude. « Les impacts cumulatifs des processus mis en place par les compagnies minières, tels que l’extraction de la saumure à partir de sa concentration et de sa séparation pour obtenir du lithium, ainsi que l’extraction de l’eau douce pour traiter le minerai ne sont pas clairement établis ni proportionnés à la capacité de chaque bassin », explique-t-elle. De ce fait, puisque la capacité d’eau douce et de saumure de chaque bassin est inconnue, l’impact réel que chaque projet pourrait avoir est également inconnu
Résister et produire
La ville de Fiambalá est située dans une vallée et est longée par les rivière Chaschuil et Abaucán qui descendent de la cordillère des Andes. Grâce au fleuve et à plus de 300 ans d’intervention humaine, le bolsón (vallée désertique) de Fiambalá s’est transformé en une vaste zone verte entourée de désert. Un écosystème fragile qui pourrait être bouleversé par le moindre changement.
Depuis l’arrivée de la mine, de nombreuses dynamiques ont changé, mais d’autres ont été réévaluées. Des continuités dans les pratiques collectives qui résistent au mal nommé « développement » imposé. Au cours de l’histoire, les familles paysannes ont expérimenté la production d’aliments et les savoirs propres à ce type de géographie.
Leur travail est visible : des dahlias fuschias qui contrastent avec la dune jaune à l’arrière des maisons, des forêts natives de chañars et de caroubiers qui résisent à la tentative de la municipalité de cimenter toute la ville ; des variétés de maïs qui se multiplient grâce aux échanges communautaires, une architecture et des systèmes d’irrigation qui préservent l’eau en période de sécheresse ; des hectares et des hectares de vignobles avec lesquels une ville entière a subsisté.
Le chañar et le caroubier.
Diego Amartino et Helena Córdoba Vélez vivent à Fiambalá depuis 2016, dates à laquelle ils ont créé une entreprise ; Alors qu’un projet de mort s’installait dans le même territoire, ils ont décidé de déménager et de lancer un projet productif, centré sur l’utilisation et la revalorisation des fruits d’arbres indigènes et sylvestres.
« Avec Helena, nous profitons des aliments que nous connaissons et que nous avons appris à connaître, que nous avons testé. Notre histoire est liée à la façon dont nous tirons parti de ces fruits et aliments qui ont été un peu oubliés et dont nous leur donnons de la valeur », explique Diego.
Sur cette base, ils ont également l'intention d'innover et de créer de nouveaux produits en s'inspirant de l'agroécologie. Aujourd'hui, ils fabriquent tous deux de la farine de caroube, des arropes et du patay. Dans chaque saveur, ils restituent à Fiambalá une petite partie de leur histoire.
Le contrôle de l’eau doit être entre nos mains.
Laura Del Pino est l'héritière d'un vignoble de plus de 50 ans. En 2022, elle a choisi de retourner sur les terres de sa grand-mère pour continuer son travail. La situation est bien différente de celle des souvenirs des étés de son enfance.
Auparavant, une grande partie de la population travaillait à la production de raisins qui étaient vendus sur les marchés. Aujourd'hui, dit-elle, très peu de camions vont au marché. Il explique qu'il est très difficile d'embaucher des personnes qui veulent continuer à travailler comme viticulteurs.
« L'autre problème est l'eau, il n'y a pas eu beaucoup de pluie et les gelées de novembre ont ruiné une partie de la production", souligne Mme Del Pino. "Il faut maintenant lutter contre cela, car l'eau utilisée dans l'usine ne peut pas retourner à l'irrigation, ni à la nappe phréatique ni à quoi que ce soit d'autre, car elle est contaminée et nous ne savons pas ce qu'ils font là-haut ». Pour l’agricultrice, il n'y a qu'une solution : "Le contrôle de l'eau doit être entre nos mains".
Les raisins de la colère
En plus de participer à l'assemblée de Fiambalá Despierta, Nicolasa et don Cacho sont producteur.ices de raisin. Ils vendent du raisin à la communauté et aux touristes depuis leur porte d'entrée. Cette décision s'explique : d'une part, ils s'opposent au fait que la maire, Roxana Paulón, soit propriétaire d'une cave et dirige la seule mostera de la ville.
« Elle a fixé un prix général pour tous les producteurs, elle paie 16 pesos par kilo de raisin. Elle ne nous a même pas demandé quels étaient nos coûts de production », dénonce Nicolasa. En même temps, en vendant le raisin depuis leur maison, Nicolasa et don Cacho remplissent un autre objectif : ils ont un moyen de parler de la situation de Fiambalá à chaque personne qui passe.
Leur maison, située dans la rue principale, porte une pancarte sur laquelle on peut lire : « L'eau vaut plus que le lithium ». Nicolasa ne se repose jamais : en même temps qu’elle joue avec sa petite fille, elle réfléchit à la prochaine affiche qu'elle placera sur sa porte et s'imagine en train d'organiser un grand festival pour propager cette idée qu’elle trouve aussi simple que passée sous silence : « c’est simple, il nous faut prendre soin de l'eau et prendre soin de l'eau, c'est prendre soin de la vie. Les ressources qu'ils nous prennent, comme l'eau, sont celles qui ne se renouvellent pas ».
Publication conjointe de l’Agencia Tierra Viva, Revista Cítrica, Marcha y Sala de Prensa Ambiental. Cet article fait partie du projet photojournalistique « la route du lithium : cartographie d’un saccage » réalisé par Susi Maresca et Camila Parodi dans le Nord-Ouest de l’Argentine.
Logistique de guerre : que défendent les États-unis ?
L’offensive lancée par les États-Unis et la Grande-Bretagne au Yémen contre les Houthis a été qualifiée par l’OTAN de «défense». Mais que défendent-ils et pour qui ? Quel est le sens politique de cette opération de défense des chaînes logistiques ?
En solidarité avec la population de Gaza, des Houthis1 ont attaqué des navires qui commercent avec Israël. Après ces attaques, le nombre de conteneurs est passé de 500 000 par jour en novembre dernier à environ 200 000 par jour. Le nombre de navires qui ont traversé le Canal de Suez au cours des douze premiers jours de 2024 était de 544, contre 777 à la même période en 2023, soit une baisse de 40%. Par ailleurs, les navires qui transportent des denrées périssables ont préféré passer par le Cap de Bonne-Espérance.
Les effets du blocage imposé par les Houthis sur l’économie sont évidents, même s’ils restent limités : en Allemagne, Tesla a décidé de suspendre pendant deux semaines la production de son usine européenne, située près de Berlin, les conflits armés de la Mer Rouge créant une pénurie de composants. Au moment où le Royaume-Uni et les États-Unis optaient pour une intervention militaire contre les Houthis, l’entreprise de Musk annonçait qu'elle reprendrait sa production à plein régime au plus tôt le 12 février. En Italie, le groupe logistique SMET, par le biais de son PDG, Domenico De Rosa, a lancé une mise en garde :
Attention au risque important d’inflation dû à la guerre en Mer Rouge et à la nouvelle taxation européenne sur le transport maritime : les guerres ne produisent pas seulement des morts et des destructions, elles contribuent aussi énormément au changement des routes logistiques et modifient considérablement le temps et le coût des approvisionnements mondiaux.
Les déclarations de De Rosa sont intéressantes parce qu’elle montrent bien les enchevêtrements logistiques du capitalisme contemporain et pourquoi la crise de la Mer Rouge inquiète tant les partisans de l'économie du libre marché2 :
Le risque est élevé pour tout le monde parce que les Houthis prennent pour cible tout navire qui a selon eux des liens avec Israël. Nous savons cependant que l'organisation du transport maritime mondial est complexe et qu'il est difficile d’assigner un navire à une seule nation. Ce n'est pas seulement le pavillon qui compte : sont également en jeu la propriété du navire, la compagnie qui l'affrète et celle qui l'utilise. Pour lutter contre les attaques des Houthis, les États-Unis et la Grande-Bretagne sont en train de renforcer la présence de navires militaires dans la région.
Comme l’avaient déjà montré la pandémie et l’incident de l'Evergiven3, la Mer Rouge représente un goulet d'étranglement4 et un enjeu géopolitique majeur du commerce international. À titre d’exemple, il y a quelques jours seulement, COSCO, la compagnie publique chinoise spécialisée dans les services logistiques, a annulé toutes ses commandes à destination d’Israël, à l'instar de sa filiale, OOCL, en décembre dernier. C’est un signal clair envoyé par la Chine qui commence à comprendre que le temps de la retenue touche à sa fin.
Il est évident que tous les patrons du marché de la logistique sont furieux de la situation et que les pressions exercées sur l'administration Biden sont réelles.
Selon certains médias, les premiers plan d’attaque des positions militaires au Yémen ont été préparé il y a des semaines. Pourtant, l’administration étasuniennes émettait des doutes concernant la pertinence de telles attaques. Les risques de propagation du conflit et l’engagement direct dans la région à quelques mois des élections ainsi qu'un consensus international de moins en moins fort auraient dû décourager Biden. Mais il est clair que cela aurait été un énième aveu de la part des États-Unis, celui de ne plus pouvoir assurer d'être le garant militaire du «libre» marché. La nouvelle attaque de cette nuit5, malgré les déclarations du 12 janvier qui affirmaient qu'aucune autre opération n'était prévue. Cela montre que cette initiative n’a pas eu, pour le moment, l’effet escompté.
Luttes anticoloniales, crises économiques et tensions géopolitiques s'entremêlent de manière toujours plus évidente. Dans ce contexte, les seuls intérêts que nos gouvernements s’engagent à défendre sont ceux du grand capital et de la politique occidentale. De nouvelles brèches s’ouvrent.
Traduction de Strike. Texte initialement paru le 13 janvier 2024 sur Infoaut
Les Houthis sont à l'origine une tribu zaydite du Nord du Yémen qui est active dans tout le pays depuis le début de la guerre civile en 2014. Leur émanation politique est connue sous le nom d'AnsarAllah. L'action militaire des Houthis s'ancre dans une séquence de dix ans de guerre dans la pays. Une situation jugée par l'ONU (avant le début des bombardements et de l'invasion terrestre de Gaza en 2023) comme la pire situation humanitaire depuis 1945. On pourra consulter cet article pour des développements plus précis ↩︎
On ne peut s'empêcher de penser au discours prononcé par Christine Lagarde à Davos. Son discours a été l'occasion de dénoncer la "clique tribale" des économistes dont les modèles sont impuissants à penser les pandémies ou les perturbations des chaînes d'approvisionnement, montrant une fois encore leur inutilité pour la classe dominante. ↩︎
Le navire Evergiven de la compagnie Evergreen avait bloqué le canal de Suez le 23 mars 2021 entraînant une importante perturbation des chaînes logistiques. ↩︎
Environ 15% du commerce international transite par le détroit de Bab-el-Mandeb - un taux en croissance ces dernières années. Le trafic dans cette zone correspond à 40% des échanges Asie-Europe. ↩︎
Les attaques des États-Unis et du Royaume-Uni n'ont pas cessé depuis sans que cela ne décourage les Yéménites. Comme le déclarait Biden lui-même le 19 janvier, "Est-ce que les bombardements vont arrêter les Houthis ? Non. Est-ce que nous allons continuer à les bombarder ? Oui" ↩︎
Grève générale contre Milei en Argentine
Nous traduisons cette chronique parue sur Dinamopress qui raconte la manifestation du 25 janvier à Buenos Aires.
« Quelque chose bouge depuis quelques semaines, quelque chose que l’on n’avait pas vu depuis longtemps... au moins depuis la lutte contre la réforme des retraites en 2017, sous la présidence de Macri » explique Pablo, chercheur en histoire à l’Espacio Memoria y Derechos Humanos, créé pour se souvenir et enquêter sur les crimes de la dictature militaire, responsable des milliers de desparecidos et des terribles vuelos de la muerte. Sous un soleil de plomb, plus d’un demi-million d'Argentins se sont rassemblés pour manifester dans le centre de Buenos Aires à l’occasion de la grève générale contre le « décret de nécessité et d'urgence » et la « loi omnibus », les premières mesures de la « thérapie de choc » annoncée par Javier Milei pour se conformer aux exigences du Fonds Monétaire International.
La manifestation d’aujourd’hui, entend-on dire avant même d’atteindre le point de départ, sera « multitudinaire ». Convoquée par la Conferación General del Trabajo – jugée par certains trop condescendante sous le dernier gouvernement, dirigé par le péroniste Alberto Fernández – la grève s’est étendue à tout le pays, avec une forte adhésion et des initiatives dans tous les grands centres, mais elle a aussi franchi les frontières du salariat traditionnel, représenté par le syndicat. Des féministes de Ni Una Menos aux activistes écologistes, en passant par la galaxie des organisations de piqueretos, de l’« économie populaire » et le Movimiento de las Empresas Recuperadas, la société argentine s’est mise en mouvement. Depuis plusieurs jours, les musées, centres culturels et restaurants de la capitale affichent des panneaux anticipant la fermeture et appelant à la mobilisation.
Les soirées queer du quartier d’Almagro s’ouvrent et se ferment sur des appels à la convergence des luttes : dans les bars, on ne parle que de ça. Pour Gustavo, employé dans un hôpital privé, « il ne s'agit pas seulement de se battre pour défendre les droits des travailleurs les plus protégés, comme les chauffeurs routiers », particulièrement visibles et bruyants dans les rangs de la CGT. Il s’agit aussi de revendiquer un salaire digne pour celleux qui ont été considérés comme ‘indispensables’ pendant la pandémie, mais que les gouvernants ont vite oubliés ». Pour cela, et pour refuser de « vendre la patrie aux privés », comme le scandait une partie de la foule, nombreux sont celles et ceux qui, comme lui, sont descendu·es dans la rue pendant le discours lors duquel Milei annonçait son « plan d’ajustement financier », le perturbant par des dizaines de cacerolazos (casserolades) organisés par les assemblées des différents barrios de la métropole rioplatense.
Malgré l’éblouissement des casques de la police anti-émeute, déployée pour protéger l’entrée du Congrès, la manifestation défile pacifiquement le long de l’Avenida de Mayo, dans une ambiance déterminée et joyeuse. Elle est accueillie par des dizaines de banderoles, parmi lesquelles se distinguent par leur nombre et leur couleur celles des panaderos (boulangers) et des travailleuses du secteur alimentaire. Les employés ministériels quittent leur bureau pour rejoindre la place et les magasins baissent progressivement leurs volets en signe de soutien. Alors que l’on apprend que plus de deux cents vols ont été annulés en raison de la grève, des feux d’artifice, des trompettes et des centaines de tambours scandent le rythme de la marche.
« Nous avons besoin de la solidarité internationale », et avant tout de la « solidarité latino-américaine », insistent certains dockers. Lors du rassemblement final, les gens ne cessent d’affluer et bloquent, malgré les appels répétés des dirigeants syndicaux et les interventions des forces de sécurité, le damier des rues et avenues du centre de la capitale. En milieu d’après-midi, des cortèges spontanés partent de place du Congrès dans différentes directions, marquant la fin de la manifestation. Certain.es rentrent chez eux, d’autres veulent continuer à faire la fête dans les parcs locaux.
« La situation était très difficile et j’ai pensé que Milei pourrait représenter quelque chose de nouveau », admet Emiliana, sans-abri depuis trois ans. « Mais je suis ici aujourd’hui, parce que ces gens n'ont pas attaqué la caste : ils veulent la dictature des grands sur les petits ». « C’est vrai, il faut tous les dégager, ce n’est qu’un premier pas », reprend Pablo en goutant son café. La balle est maintenant dans le camp des députés, qui discuteront de la loi en séance plénière. Mais dans rue, on parle déjà de nouvelles journées de lutte pour résister à la « tronçonneuse » anarcho-libérale du loco devenu président.
Grève des livreurs à Londres - Un bulletin de grève
À l'occasion d'un événement que nous organisons avec des camarades de Notes from Below le 11 février à Montreuil, nous traduisons et relayons un bulletin de grève. Ce bulletin de grève traite d'une grève des livreurs de nourriture en cours au Royaume-Uni commencée vendredi 2 février. La forme du bulletin de grève nous semble particulièrement intéressante comme outil de politique de construction des mobilisation.
La semaine dernière des milliers de livreurs de nourriture étaient en grève pour des augmentations dans plusieurs villes à travers le Royaume-Uni. Le texte qui suit est un bulletin de grève distribué par des soutiens. Une version imprimable sera disponible en plusieurs langues.
Bilans de la première grève
Le vendredi 2 février des milliers de livreurs de nourriture qui demandent une augmentation ont entamé une grève contre toutes les applications dans plus de 90 zones à Londres, Brighton, Liverpool, Bath et Glasgow.
La grève demandait une augmentation. En 2017, Deliveroo payait un minimum de £4 par course. Maintenant le minimum est de £3.15 pour les scooters et £2.80 pour les vélos. Cela représente une baisse de 40% de la paye réelle. Uber Eats a opéré des coupes similaires.
C’était la plus grande grève jamais faite dans la livraison de nourriture au Royaume-Uni. Elle a ébranlé le management de ces applications.
Dans de nombreuses zones, les livreurs se sont concentrés localement et ont organisé des piquets pour fermer les dark kitchens et les restaurants clés. Dans certaines zones, les grévistes ont eu à faire face à beaucoup de livreurs qui brisaient la grève et essayaient de prendre leur travail. Dans d’autres zones, il était facile de convaincre chaque livreur de rejoindre la grève. Dans des zones où les livreurs étaient en mesure d’organiser une forte grève, cela a eu un gros impact - comme on a pu le voir avec les consommateurs qui se plaignaient en ligne et les commandes qui s'accumulaient dans les restaurants.
Dans d’autres zones encore, non seulement les grévistes ont organisé des piquets mais les livreurs se sont rassemblés et ont organisé des cortèges à moto. Certains ont profité de ces cortèges pour répandre la grève dans de nouveaux secteurs.
La grève a aussi rassemblé des livreurs issus de différentes communautés ce qui n’était pas arrivé dans une telle proportion auparavant. Cela a constitué une étape importante pour nous renforcer.
Deliveroo, Uber Eats, Just Eat et Stuart essaieront tous de dire que cette grève ne les a pas affectés pour nous démoraliser. Mais alors pourquoi ont-ils envoyé des messages de panique dans les restaurants à propos de la grève ? Pourquoi ont-ils énormément augmenté les primes pour le travail de nuit ?
Nous pensons qu’il est vraiment important de partager des informations sur ce qu’il est en train de se passer dans chacune des zones pour que nous soyons les plus efficaces possibles. Nous avons donc collecté des récits de livreurs dans plusieurs zones.
Earls Court
Je viens de commencer à travailler dans la zone. Je travaillais à Camden avant. J’ai rejoint le groupe de livreurs près du McDonalds. J’ai pris d’abord contact avec les Indiens. Au début, ils ne savaient pas quoi dire mais ensuite, ils ont dit qu’ils feraient grève. Mais ils ne parlaient pas avec les Brésiliens. Ils m’ont demandé de leur parler puisqu’ils ne savaient pas s’ils allaient faire grève. Je suis allé leur demander. Un des gars venait de se prendre une amende de stationnement de 85 £ et il était énervé du coup, il a dit que non. Et puis, on a vu les prix monter sur Deliveroo et ça nous a enthousiasmé. Alors, on a commencé à travailler comme un groupe et quand les autres livreurs arrivaient, on les persuadait de se mettre en grève. Certains membres de notre groupe ont été un peu rudes avec les briseurs de grève, mais la plupart d'entre nous se sont montrés amicaux. Nous avons dit qu'il y avait des milliers de chauffeurs en grève en ce moment à Londres, et que vous devriez nous rejoindre. Nous avons ajouté des personnes au groupe Whatsapp. Puis nous avons appris que d'autres zones étaient en grève. Puis 150 motos sont venues bloquer la route et nous avons fait le tour. Tout le monde est très enthousiaste à l'idée d'une nouvelle grève.
Nous savons que les entreprises sont très inquiètes car nous avons vu de faux comptes sur des groupes sur les réseaux sociaux qui essayaient de nous démoraliser. Mais on pouvait voir qu’ils étaient faux : quand je sors parler aux vrais gens, ils disent qu’ils veulent faire la grève tout le week-end.
J’ai fait ce métier pendant 6 ans. Le tarif était de £3.15 pour faire de très courts trajets où l’on pouvait quasiment marcher. Maintenant il faut faire 3 à 5 km pour gagner les £3.15. Ils disent que c’est l’algorithme, que c’est de sa faute, mais il y a bien quelqu’un qui l’a fait cet algorithme. Ils vous disent de refuser une course si vous ne la voulez pas mais si vous en refusez trop, il y a quelque chose de caché dans l’algorithme qui vous bloque pendant 30 minutes. Ensuite l’appli dit qu’ils ont besoin d’embaucher plus de livreurs parce qu’il n’y a pas assez de monde pour faire le travail ! Ce sont toutes ces raisons qui nous ont fait nous mettre en grève.
Whitechapel
20 livreurs bengalis et brésiliens ont fait fermer la dark kitchen ‘Editions’ à l’Assembly Passage à Whitechapel. D’autres livreurs ont aussi fermé une autre dark kitchen dans la zone et des restaurants voisins. Très peu de livreurs sont venus pour prendre les commandes, et ceux qui sont venus n’ont pas pu les prendre. Les livreurs disent qu’ils pensent que Deliveroo a perdu environ £30 000 à cause de la grève simplement à Editions, en se basant sur le nombre habituel de commandes en une soirée. J’ai demandé à tout le monde s’ils pensaient qu’une grève serait suffisante et s’ils seraient prêts à en faire plus. Les avis étaient partagés. Beaucoup de livreurs disaient qu’ils voulaient faire grève quelques jours supplémentaires, si l’on ne gagnait pas après le premier jour. Après quelques heures, des livreurs ont rejoint d’autres groupes qui tenaient des piquets de grève sur d’autres sites et conduisaient en groupe : c’était une bonne manière de se booster le moral.
Forest Hill
20 livreurs tenaient un piquet à la dark kitchen ‘Editions’ de Forest Hill. Quand plus de livreurs sont arrivés à la cuisine et ont appris pour la grève, la plupart a arrêté le travail et rejoint la grève. Seuls quelques-uns ont essayé de prendre des commandes et peu de temps après, le manager a désactivé l'application. Rien n'est entré ou sorti pendant des heures. La plupart des chauffeurs conviennent qu'une augmentation de salaire ne sera pas obtenue en une seule grève ; ils sont prêts pour une campagne plus longue. Quelques jours après la grève, les livraisons semblent être payées plus cher qu'auparavant. Les tarifs ont été légèrement revus à la hausse.
Nous allons publier d'autres bulletins de ce type et nous souhaitons partager des informations provenant de différentes régions. Envoyez-nous un message ou une note vocale sur whatsapp avec des informations de votre secteur +447598260453.
Comment gagner la grève ?
Nous avons parlé avec beaucoup de livreur sur la manière dont on peut obtenir l’augmentation qu’on mérite : voici nos idées sur ce qu’il faut faire.
La grève encore et encore jusqu’à la victoire
Il faut toujours plus d’un jour de grève pour gagner, après la grève de vendredi dernier, les managers sur les applications seront inquiets. Ils ont perdu beaucoup d’argent, mais ça va leur prendre du temps de trouver quoi faire. Depuis la grève, les managers sont très occupés à se réunir et à parler entre eux. Ils se demanderont s'il faut s'inquiéter sérieusement ou non. Des grèves de ce type ont déjà eu lieu à Londres, mais elles n'ont duré qu'une journée et se sont ensuite éteintes. Les managers vont probablement penser que ce sera pareil cette fois-ci. Ils ont beaucoup d’argent à la banque et peuvent résister à quelques grèves. Mais ce qui les inquiète, c’est que ces grèves continuent à se produire et qu’elles grossissent. C’est donc ça qu’on doit faire. Nous devons nous préparer à des grèves régulières et continues jusqu’à ce que les managers soit forcés d’écouter. Le slogan de nombreuses grèves réussies a été "nous faisons grève jusqu'à ce que nous gagnions !" Nous devons convaincre tous les conducteurs de le faire avec nous. Donc, si vous êtes d'accord, parlez à autant de conducteurs que possible de la nécessité de poursuivre la grève.
Grossir les rangs de la grève
Si nous pouvons faire grossir les grèves, cela coûtera plus d’argent aux applications et cela leur fera plus peur. Plus la grève est grande, moins il y aura besoin de faire grève longtemps avant de gagner. Cela peut prendre un certain temps pour que la grève prenne de l'ampleur - nous devons nous rendre dans de nombreuses zones qui n'ont pas fait grève la semaine dernière et les convaincre de s'impliquer. Si nous acceptons de faire des grèves régulières une fois par semaine au cours des prochaines semaines, cela peut inciter les chauffeurs de nombreuses autres régions à s'impliquer. Il y a deux ans, de grandes grèves de coursiers ont eu lieu dans le nord de l'Angleterre. Ces grèves ont été lancées par des livreurs de Sheffield, membres du syndicat IWGB. Ils ont fait grève plusieurs jours par semaine et, entre les grèves, ils sont allés travailler dans différentes villes pour parler aux gens. Grâce à leur travail acharné, la grève s'est étendue à dix villes. Nous devons étendre la grève à tous les quartiers de Londres et à d'autres villes. Alors, si vous êtes d'accord, assurez-vous que votre zone est en grève, puis essayez d'aller travailler dans une zone voisine quelques jours cette semaine pour parler aux gens. Ou alors, réunissez un groupe de personnes du secteur où vous travaillez normalement et allez ensemble parler aux gens de différents secteurs pour qu'ils se joignent à la grève.
Garder le moral et communiquer régulièrement avec les autres livreurs
Beaucoup de livreurs dans votre zone ne sauront pas grand-chose de ce qu’il se passe. Nous devons nous assurer qu’ils comprennent bien les choses, sinon ils seront rapidement déboussolés et démoralisés et ne continueront pas à se joindre aux grèves. Créez un groupe Whatsapp local s'il n'y en a pas déjà un et demandez à tous les livreurs de votre zone de le rejoindre, ainsi que les grands groupes de la ville. Partagez des infos régulièrement sur ce qui se passe dans les différentes parties de la ville, afin que tout le monde puisse voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Réunissez-vous face à face et discutez ensemble de ce qui se passe, de ce qui fonctionne bien dans la grève et de ce qui doit être fait pour l'améliorer.
Se coordonner au-delà de notre zone
Les gens qui ont appelé à la grève vendredi ont fait du très bon travail. Mais ils ne sont qu'un petit nombre de personnes et il y a beaucoup de travail à faire pour eux seuls. Nous devons tous les aider. Chaque groupe de livreurs dans chaque petite zone devrait élire des capitaines pour assurer la coordination avec les autres zones. Les capitaines peuvent se réunir et convenir de plans pour les grèves à venir, et peuvent également coordonner des visites dans de nouvelles zones pour les rallier à leur cause.
Qu'en pensez-vous ? Si vous avez des idées pour gagner la grève, envoyez-les nous à +447598260453.