Occupation is a Crime : sur la manif du 11 novembre à Londres

Le mouvement pour la justice et la paix en Palestine est particulièrement puissant au Royaume-Uni. À l'occasion de la manif du 11 novembre à Londres, ce texte esquisse la composition et les potentialités de ce mouvement.

La manifestation devant le pont de Vauxhall

Le 11 novembre à Londres s’est tenue une grande manifestation qui a réuni 800 000 personnes pour demander un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Cette manifestation s’est donc tenue en concomitance de l’Armistice Day, jour férié également en France qui est devenu une sorte de célébration patriotique universelle comme l’a attesté la célébration organisée par Macron en 2018.

Au départ de la manif

Le ministère de l’intérieur britannique dans un geste “darmanien” a tenté de faire interdire cette manifestation, mais il semble que les décisions du ministère de l’intérieur qui visent à réprimer les libertés publiques ne soient pas aussi incontestables de l’autre côté de la Manche puisque la Metropolitan Police a décidé d’autoriser la manifestation. Suella Braverman (la ministre de l'intérieur de l'époque) et Rishi Sunak ont tout fait pour disqualifier la manifestation, qualifiant une manifestation pour la paix qui se tient un jour d’Armistice d’outrage, et d’ajouter qu’il s’agissait d’une marche de haine. Effectivement, les tentatives ridicules de cette ministre ont vraisemblablement amené de nombreux·ses participant·es à exhiber de nombreuses pancartes de haine … mais à son égard. La seule action de Braverman aura été de motiver de nombreux fascistes britanniques, issus principalement du hooliganisme et de l’English Defence League à être présents en masse à Londres. Ces derniers se sont véritablement mobilisés sur des mots d’ordres gouvernementaux, en particulier pour protéger le cénotaphe. Ces fascistes s’étaient en effet mis dans la tête que le but des centaines de milliers de manifestant·es solidaires du peuple palestinien était d’attaquer ce fameux cénotaphe.

Une bannière de la solidarité avec la Palestine du Comté de Durham

Le fait frappant et majeur de cette manifestation, c’est que la demande politique de ces 800 000 personnes (soit la plus grande manifestation depuis les manifestations anti-guerre en Irak de 2003 au Royaume-Uni) n’ont actuellement presque aucun relai politique : la direction du parti travailliste (actuellement dans l'opposition) ne demande absolument pas de cessez-le-feu. Il n’y a pas aujourd'hui en Grande Bretagne de place dans la politique parlementaire pour ces mouvements qui partent d’en-bas. Ce phénomène était déjà très manifeste à l’automne dernier lors d’une très importante vague de grève qui avait abouti à des augmentations de salaires qui n’ont pas rattrapé l’inflation1, le mouvement syndical peinait déjà à trouver une expression politique de ses revendications après la purge du parti travailliste qui a eu pour conséquence de mettre à la tête du plus vieux parti ‘ouvrier’ du monde ses éléments les plus capitulards, voire de ressusciter les fantômes néo-libéraux et néo-conservateurs des années 2000 comme Tony Blair.

Il faut dire que du côté des syndicats, il se passe pas mal de choses en solidarité avec la Palestine au Royaume-Uni. La campagne de blocage des armes2 est très relayée et après le blocage d’une usine d’armement dans le Kent, des syndicalistes ont remis le couvert avec un blocage de l’usine de BAE Systems à Rochester. Plus de 400 militant·es syndicaux ont bloqué cette usine qui produit les systèmes de visée utilisés par les F-35 qui bombardent actuellement Gaza. Les travailleur·ses qui participent à cette campagne sont là pour rappeler les crimes dont se rendent complices ces entreprises. Les camarades ont réussi à empêcher l’usine de fonctionner pendant quelques heures. Les travailleurs, pour beaucoup musulmans, sont très réceptifs au discours porté par les syndicalistes. À un niveau plus symbolique, on a vu Mick Lynch faire adopter des motions au sein du syndicat des transports publics (RMT) pour que ses adhérent·es puissent refuser la participation à l'effort de guerre israélien. Le fait que des syndicats se décident à porter ces questions est quelque chose de très important au Royaume-Uni. Cela permet de repenser la place du syndicalisme dans la lutte de classe alors que le système social impose à la lutte syndicale de se préoccuper avant tout des questions liées directement au lieu de travail. La question palestinienne est une fois de plus dans l'histoire un vecteur de politisation des mouvements de travailleur·ses.

Devant l'usine de BAE Systems

Cependant, il ne faut pas limiter l’organisation par en bas au monde syndical dans la très belle manif londonienne du 11 novembre. De nombreux groupes communautaires, de quartiers, de lieux de cultes étaient présents en masse et de tous les coins du pays. À titre d’exemple, 25 bus étaient affrétés depuis Birmingham pour se rendre à Londres. Cela a rendu possible une manifestation à la composition très mixte et intergénérationnelle. La dénonciation des crimes du colonialisme et en particulier de l’occupation israélienne de la Palestine prend une résonance particulièrement forte et émouvante dans cette foule réunie dans la capitale de ce qui fut le plus grand empire colonial du monde. C’est précisément cela que Suella Braverman voulait empêcher, comme l’explique Ashok Kumar, en effet, la franges droites du parti conservateur britannique refusent aujourd'hui le caractère multiculturel de la société britannique qui par ses aspirations entre en contradiction avec la poursuite du projet impérialiste britannique.

Il faut avoir conscience que c’était une immense manifestation, probablement la plus grande que les camarades n’ayant pas connu le mouvement contre la guerre en Irak aient jamais vue. Elle a eu son lot d'effets, je dois dire que c'est, pour ma part, la première fois que je vais à une manif qui entraîne la chute du ministre de l'intérieur. Il ne faudrait quand même pas que ce remaniement ministériel nous donne trop d'espoir, il aura surtout été l'occasion d'un come back pour l'inénarrable David Cameron. Le parlement britannique n'a pas non plus voté pour le cessez-le-feu malgré le ralliement de certain·es parlementaires travaillistes à ce mot d'ordre. Il semble quand même que le mouvement actuel soit beaucoup plus politique que celui de 2003; les prochaines semaines de mobilisations dans ce centre politique et historique de l'impérialisme seront importantes.

Un cortège du RMT

Je remercie tous·tes mes camarades d'outre-Manche pour les discussions stimulantes que j'ai eu avec elleux et sans lesquelles je n'aurais pas pu écrire cet article. Les analyses qui y sont présentées ne les engagent pas.

Une affiche pour le bloc juif à la manifestation du 11 novembre


  1. A ce sujet, on pourra consulter l'éditorial de Notes From Below qui revient bien sur ces problèmes. ↩︎

  2. On pourra retrouver une traduction en Français de l'appel ici ↩︎