Logistique de guerre : que défendent les États-unis ?

L’offensive lancée par les États-Unis et la Grande-Bretagne au Yémen contre les Houthis a été qualifiée par l’OTAN de «défense». Mais que défendent-ils et pour qui ? Quel est le sens politique de cette opération de défense des chaînes logistiques ?

L'abordage du Galaxy Leader, 19 novembre 2023

En solidarité avec la population de Gaza, des Houthis1 ont attaqué des navires qui commercent avec Israël. Après ces attaques, le nombre de conteneurs est passé de 500 000 par jour en novembre dernier à environ 200 000 par jour. Le nombre de navires qui ont traversé le Canal de Suez au cours des douze premiers jours de 2024 était de 544, contre 777 à la même période en 2023, soit une baisse de 40%. Par ailleurs, les navires qui transportent des denrées périssables ont préféré passer par le Cap de Bonne-Espérance.

Les effets du blocage imposé par les Houthis sur l’économie sont évidents, même s’ils restent limités : en Allemagne, Tesla a décidé de suspendre pendant deux semaines la production de son usine européenne, située près de Berlin, les conflits armés de la Mer Rouge créant une pénurie de composants. Au moment où le Royaume-Uni et les États-Unis optaient pour une intervention militaire contre les Houthis, l’entreprise de Musk annonçait qu'elle reprendrait sa production à plein régime au plus tôt le 12 février. En Italie, le groupe logistique SMET, par le biais de son PDG, Domenico De Rosa, a lancé une mise en garde :

Attention au risque important d’inflation dû à la guerre en Mer Rouge et à la nouvelle taxation européenne sur le transport maritime : les guerres ne produisent pas seulement des morts et des destructions, elles contribuent aussi énormément au changement des routes logistiques et modifient considérablement le temps et le coût des approvisionnements mondiaux.

Les déclarations de De Rosa sont intéressantes parce qu’elle montrent bien les enchevêtrements logistiques du capitalisme contemporain et pourquoi la crise de la Mer Rouge inquiète tant les partisans de l'économie du libre marché2 :

Le risque est élevé pour tout le monde parce que les Houthis prennent pour cible tout navire qui a selon eux des liens avec Israël. Nous savons cependant que l'organisation du transport maritime mondial est complexe et qu'il est difficile d’assigner un navire à une seule nation. Ce n'est pas seulement le pavillon qui compte : sont également en jeu la propriété du navire, la compagnie qui l'affrète et celle qui l'utilise. Pour lutter contre les attaques des Houthis, les États-Unis et la Grande-Bretagne sont en train de renforcer la présence de navires militaires dans la région.

Comme l’avaient déjà montré la pandémie et l’incident de l'Evergiven3, la Mer Rouge représente un goulet d'étranglement4 et un enjeu géopolitique majeur du commerce international. À titre d’exemple, il y a quelques jours seulement, COSCO, la compagnie publique chinoise spécialisée dans les services logistiques, a annulé toutes ses commandes à destination d’Israël, à l'instar de sa filiale, OOCL, en décembre dernier. C’est un signal clair envoyé par la Chine qui commence à comprendre que le temps de la retenue touche à sa fin.

Il est évident que tous les patrons du marché de la logistique sont furieux de la situation et que les pressions exercées sur l'administration Biden sont réelles.

Selon certains médias, les premiers plan d’attaque des positions militaires au Yémen ont été préparé il y a des semaines. Pourtant, l’administration étasuniennes émettait des doutes concernant la pertinence de telles attaques. Les risques de propagation du conflit et l’engagement direct dans la région à quelques mois des élections ainsi qu'un consensus international de moins en moins fort auraient dû décourager Biden. Mais il est clair que cela aurait été un énième aveu de la part des États-Unis, celui de ne plus pouvoir assurer d'être le garant militaire du «libre» marché. La nouvelle attaque de cette nuit5, malgré les déclarations du 12 janvier qui affirmaient qu'aucune autre opération n'était prévue. Cela montre que cette initiative n’a pas eu, pour le moment, l’effet escompté.

Luttes anticoloniales, crises économiques et tensions géopolitiques s'entremêlent de manière toujours plus évidente. Dans ce contexte, les seuls intérêts que nos gouvernements s’engagent à défendre sont ceux du grand capital et de la politique occidentale. De nouvelles brèches s’ouvrent.


Traduction de Strike. Texte initialement paru le 13 janvier 2024 sur Infoaut


  1. Les Houthis sont à l'origine une tribu zaydite du Nord du Yémen qui est active dans tout le pays depuis le début de la guerre civile en 2014. Leur émanation politique est connue sous le nom d'AnsarAllah. L'action militaire des Houthis s'ancre dans une séquence de dix ans de guerre dans la pays. Une situation jugée par l'ONU (avant le début des bombardements et de l'invasion terrestre de Gaza en 2023) comme la pire situation humanitaire depuis 1945. On pourra consulter cet article pour des développements plus précis ↩︎

  2. On ne peut s'empêcher de penser au discours prononcé par Christine Lagarde à Davos. Son discours a été l'occasion de dénoncer la "clique tribale" des économistes dont les modèles sont impuissants à penser les pandémies ou les perturbations des chaînes d'approvisionnement, montrant une fois encore leur inutilité pour la classe dominante. ↩︎

  3. Le navire Evergiven de la compagnie Evergreen avait bloqué le canal de Suez le 23 mars 2021 entraînant une importante perturbation des chaînes logistiques. ↩︎

  4. Environ 15% du commerce international transite par le détroit de Bab-el-Mandeb - un taux en croissance ces dernières années. Le trafic dans cette zone correspond à 40% des échanges Asie-Europe. ↩︎

  5. Les attaques des États-Unis et du Royaume-Uni n'ont pas cessé depuis sans que cela ne décourage les Yéménites. Comme le déclarait Biden lui-même le 19 janvier, "Est-ce que les bombardements vont arrêter les Houthis ? Non. Est-ce que nous allons continuer à les bombarder ? Oui" ↩︎