Grève générale contre Milei en Argentine

Nous traduisons cette chronique parue sur Dinamopress qui raconte la manifestation du 25 janvier à Buenos Aires.

« Quelque chose bouge depuis quelques semaines, quelque chose que l’on n’avait pas vu depuis longtemps... au moins depuis la lutte contre la réforme des retraites en 2017, sous la présidence de Macri » explique Pablo, chercheur en histoire à l’Espacio Memoria y Derechos Humanos, créé pour se souvenir et enquêter sur les crimes de la dictature militaire, responsable des milliers de desparecidos et des terribles vuelos de la muerte. Sous un soleil de plomb, plus d’un demi-million d'Argentins se sont rassemblés pour manifester dans le centre de Buenos Aires à l’occasion de la grève générale contre le « décret de nécessité et d'urgence » et la « loi omnibus », les premières mesures de la « thérapie de choc » annoncée par Javier Milei pour se conformer aux exigences du Fonds Monétaire International.

La manifestation d’aujourd’hui, entend-on dire avant même d’atteindre le point de départ, sera « multitudinaire ». Convoquée par la Conferación General del Trabajo – jugée par certains trop condescendante sous le dernier gouvernement, dirigé par le péroniste Alberto Fernández – la grève s’est étendue à tout le pays, avec une forte adhésion et des initiatives dans tous les grands centres, mais elle a aussi franchi les frontières du salariat traditionnel, représenté par le syndicat. Des féministes de Ni Una Menos aux activistes écologistes, en passant par la galaxie des organisations de piqueretos, de l’« économie populaire » et le Movimiento de las Empresas Recuperadas, la société argentine s’est mise en mouvement. Depuis plusieurs jours, les musées, centres culturels et restaurants de la capitale affichent des panneaux anticipant la fermeture et appelant à la mobilisation.

Les soirées queer du quartier d’Almagro s’ouvrent et se ferment sur des appels à la convergence des luttes : dans les bars, on ne parle que de ça. Pour Gustavo, employé dans un hôpital privé, « il ne s'agit pas seulement de se battre pour défendre les droits des travailleurs les plus protégés, comme les chauffeurs routiers », particulièrement visibles et bruyants dans les rangs de la CGT. Il s’agit aussi de revendiquer un salaire digne pour celleux qui ont été considérés comme ‘indispensables’ pendant la pandémie, mais que les gouvernants ont vite oubliés ». Pour cela, et pour refuser de « vendre la patrie aux privés », comme le scandait une partie de la foule, nombreux sont celles et ceux qui, comme lui, sont descendu·es dans la rue pendant le discours lors duquel Milei annonçait son « plan d’ajustement financier », le perturbant par des dizaines de cacerolazos (casserolades) organisés par les assemblées des différents barrios de la métropole rioplatense.

Malgré l’éblouissement des casques de la police anti-émeute, déployée pour protéger l’entrée du Congrès, la manifestation défile pacifiquement le long de l’Avenida de Mayo, dans une ambiance déterminée et joyeuse. Elle est accueillie par des dizaines de banderoles, parmi lesquelles se distinguent par leur nombre et leur couleur celles des panaderos (boulangers) et des travailleuses du secteur alimentaire. Les employés ministériels quittent leur bureau pour rejoindre la place et les magasins baissent progressivement leurs volets en signe de soutien. Alors que l’on apprend que plus de deux cents vols ont été annulés en raison de la grève, des feux d’artifice, des trompettes et des centaines de tambours scandent le rythme de la marche.

« Nous avons besoin de la solidarité internationale », et avant tout de la « solidarité latino-américaine », insistent certains dockers. Lors du rassemblement final, les gens ne cessent d’affluer et bloquent, malgré les appels répétés des dirigeants syndicaux et les interventions des forces de sécurité, le damier des rues et avenues du centre de la capitale. En milieu d’après-midi, des cortèges spontanés partent de place du Congrès dans différentes directions, marquant la fin de la manifestation. Certain.es rentrent chez eux, d’autres veulent continuer à faire la fête dans les parcs locaux.

« La situation était très difficile et j’ai pensé que Milei pourrait représenter quelque chose de nouveau », admet Emiliana, sans-abri depuis trois ans. « Mais je suis ici aujourd’hui, parce que ces gens n'ont pas attaqué la caste : ils veulent la dictature des grands sur les petits ».  « C’est vrai, il faut tous les dégager, ce n’est qu’un premier pas », reprend Pablo en goutant son café. La balle est maintenant dans le camp des députés, qui discuteront de la loi en séance plénière. Mais dans rue, on parle déjà de nouvelles journées de lutte pour résister à la « tronçonneuse » anarcho-libérale du loco devenu président.


Les photographies sont de l'auteur

Traduction de Dinamopress