Soulevons-nous - Journal collectif d’une lutte ouvrière (et pas que) 10/16
Réflexions sur la grève générale, la dignité et les syndicats dans la suite du feuilleton GKN

Journal
16 novembre
En tant que travailleuses et travailleurs, nous sommes conscients de l’ampleur du travail à accomplir pour préparer une grève générale digne de ce nom. Mais nous n’acceptons pas que sa préparation devienne un prétexte pour la reporter éternellement.
Nous sommes conscients que penser qu’une grève générale est nécessaire est aujourd’hui minoritaire dans les hautes sphères des organisations syndicales de masse. Mais si elles continuent à penser ainsi, aucune grève générale n’aura lieu cet automne. Cependant, nous pensons que chaque jour, les raisons d’une telle grève se font toujours plus nombreuses, dans la réalité sociale, dans la tête des gens, dans les faits divers, dans les processus sociaux. Et que chaque jour, la nécessité de « se soulever » se fait de plus en plus présente dans l’imaginaire des travailleuses, travailleurs et jeunes de ce pays.
Enfin, nous sommes conscients que même si une grève générale devait être lancée aujourd’hui, cela se ferait dans la rouille, voire l’insuffisance ou le manque d’habitude de l’ensemble de la structure syndicale à tenir, développer, rendre efficace et donner une sorte de continuité à une lutte revendicative. Nous observons qu’historiquement, lorsqu’il y a un mouvement de changement réellement capable d’améliorer la vie de générations entières, cela a toujours coïncidé avec une transformation, une revitalisation des structures syndicales de base, des consciences et des formes d’organisation des syndicats dans la société.
La grève générale, donc, n’est pas simplement une date. Il ne s’agit pas seulement de l’inscrire sur calendrier pour qu’elle ait lieu. Ce n’est pas un simple rendez-vous. Et peut-être qu’elle ne correspondra même pas à la temporalité parlementaire. Il s’agit d’un rapport entre une initiative venant d’en haut et une poussée venant d’en bas. Il s’agit d’un chemin, d’une conviction grandissante, d’un sillon qui se creuse, comme un torrent à la recherche d’un fleuve. Enfin, nous sommes conscients qu’au long de ce chemin, nous allons disparaître, nous nous dissoudrons, noyés sous les mots, les tables de négociation, les accords perdus ou les accords gagnés qui n’ont pas été respectés. Vous pouvez donc continuer à ne pas cautionner cette grève générale, au nom d’un prétendu réalisme, de raisons tactiques et diplomatiques. Mais nous, qui tâchons de survivre chaque jour, nous répéterons jusqu’à ne plus avoir de voix : la grève générale, si ce n’est pas maintenant, alors quand ?
24 novembre
Nous sommes toujours victimes d’attaques et de chantage, tandis que le gouvernement évite soigneusement de décréter un état d’urgence sur les délocalisations. Cette nuit, les anciens ouvriers précaires de Piaggio ont passé la nuit sur le toit de Sant'Anna (nous leur apportons notre plus grande solidarité).
Ce matin, on apprend que d’autres écoles florentines sont occupées. On apprend que la grève d’ATA, appelée par un syndicat autonome, a été très suivie.
On apprend que le FLC avait appelé à la grève générale de l’école le 10 décembre. Trop tard, trop tôt, après les jours fériés, trop près de Noël ?
Tout cela est peut-être vrai. Mais il n’y a qu’une chose à faire : poursuivre sur cette voie, alimenter le processus, converger et se soulever. La date du 10 décembre devient la date des grèves régionales. Elle devient aussi la date du forfait des heures de grève de la FIOM. Elle devient la date de tous les mouvements et de la RSU. C’est trop tôt ? On sera trop peu nombreux ? L’importance est que ce soit une étape de plus. Continuer notre chemin, alimenter le processus. Ceux qui peuvent convergeront. Un fil rouge relie toutes nos luttes et nos vies. Et si on le suit, il nous conduit tous au même endroit.
25 novembre
Nous ne réfléchissons pas en termes de victoire ou de défaite, mais seulement en termes de devoir, de résistance et de dignité. Le devoir : c’est tout ce que nous essaierons de faire jusqu’au bout. La résistance : parce que nous irons de l’avant tant que nous le pourrons. La dignité : c’est la seule chose que nous ayons peur de perdre.
Et la fin de cette histoire, ce n’est pas « notre » problème, mais bien un problème que nous partageons tous, qui est le « nôtre ». Un problème qui concerne le territoire qui, en cas de défaite, se retrouvera encore une fois avec un écomonstre sur les bras. Mais c’est aussi la question de l’appauvrissement professionnel, avec 500 personnes qui se retrouveront licenciées. Cela concerne aussi toutes les personnes dont les emplois seront supprimés si nous allons dans d’autres entreprises. Cela concerne tous les travailleurs du secteur de l’automobile, parce que c’est ici la reconfiguration de tout ce secteur qui est en jeu. Cela concerne tout le mouvement ouvrier parce qu’il sera beaucoup plus difficile de résister une fois que le Colletivo di fabbrica, alors qu’il a su mobiliser 40 000 personnes en manifestation et s’organiser pendant des mois en assemblée permanente, aura échoué. Mais nous ferons tout notre possible pour que ce problème qui est le « nôtre » devienne « leur » honte. Nous mettrons en lumière l’impuissance et la complicité du gouvernement. Nous saurons qui aura soutenu cette lutte jusqu’à la fin sans faire semblant. Ceux qui se sont obstinés à refuser d’unifier les luttes ou qui ont disparu après trois ou quatre semaines de beaux discours devront inévitablement rendre des comptes. Nous ne pensons pas en termes de victoire ou de défaite, mais oui, nous pensons en termes de leçons à tirer et à transmettre, de responsabilité et d’engagement.
26 novembre
Soulevons-nous commence sa tournée dans les théâtres et les cercles Arci le 3 décembre à la Casa del Popolo « Il Campino » de Florence : Usines ouvertes, salles et théâtres remplis ! Ce sera tous les vendredis soirs, puis cela reprendra en janvier. Chaque vendredi, dans un théâtre ou une maison du peuple.
Pourquoi et dans quel but ?
Les premiers jours après la fermeture de l’usine, les cercles Arci de Florence et de Prato ont organisé un extraordinaire relais de soutien. Chaque soir ils nous apportaient à manger. Chaque plat était cuisiné par un des cercles. Chaque cercle appartenait à un territoire différent. Chaque territoire se soulevait pour défendre l’usine. Et ce que le territoire donne à l’usine, l’usine essaie de le lui rendre.
Usines ouvertes, droits du travail et stabilité de l’emploi permettent aux travailleuses et travailleurs d’être disponibles pour d’autres sphères de la vie, par exemple pour être bénévoles dans un cercle Arci, ou bien pour aller au théâtre, ou encore pour se passionner pour un art. Les usines ouvertes, les lois anti-délocalisations, le droit du travail remplissent les théâtres et encouragent l’art populaire.
Parce que vous nous avez demandé comment nous allons, et nous voulons savoir comment vous, vous allez. Et les cercles Arci, le théâtre, les arts vivants ont été les plus touchés par la crise de la pandémie.
Parce que nous sommes à nouveau attaqués et victimes de chantage. Ils s’apprêtent à relancer la procédure de licenciement. Parce que nous avons besoin de rester soudés et de vous voir tous les vendredis soirs, pour faire le point avec ceux qui le souhaitent.
Parce que nous devrons probablement nous prendre par la main et passer décembre à hiberner ensemble et éviter que la lutte ne meure de froid.
Parce que la lutte est l’un des plus grands efforts créatifs qui soient et le théâtre trouve dans cet effort créatif une empathie particulière.
Parce que c’est notre usine, c’est notre territoire, c’est notre communauté. Et parce que nous savons autant comment faire repartir l’usine que faire repartir notre communauté. Nous sommes la classe dirigeante.
Parce que comme ça, tous les vendredis soirs, vous saurez où nous trouver, pour nous demander des infos, et être informés. Et chaque vendredi soir nous vous rappellerons l’importance de préparer la grève générale et généralisée.
Parce qu’il y a des spectacles qui doivent être vus, des acteurs qui doivent vous émouvoir, des visages qui doivent sourire, des regards qui doivent se brouiller.
Faites-nous une faveur, participez, faites connaître ces dates, aidez-nous à garder l’usine ouverte et les théâtres remplis.