Imerys

L'industrie des batteries de véhicules électriques

Le renouveau minier

Cet article essaye de définir avec quels autres collectifs en France pourrait s'associer la lutte contre la mine de lithium dans l'Allier. Dans chaque section, je proposerai une définition des ennemi·es, à laquelle correspond un ensemble d'alliances potentielles. Je m'appuie sur des jeux de données que j'ai construits ou récupérés sur le web, qui m'ont servi à produire des cartes. Les données sont également téléchargeables dans l'article, pour qu'elles puissent être réutilisées et étendues.

Imerys

Imerys, l'entreprise qui porte le projet de mine de lithium, est une multinationale minière et industrielle implantée dans près de 40 pays. Elle possède plus de 200 implantations industrielles dans le monde, dont une trentaine en France. Elle emploie 18·000 personnes, dont une trentaine sur la carrière d'Échassières dans l'Allier.

Imerys extrait et raffine principalement des minerais non métalliques, qui peuvent être utilisés directement dans la production, ou pour alimenter des procédés industriels. La répartition de ses revenus est la suivante :¹

Source	Part
Construction et infrastructures	37%
Emballages et produits cosmétiques	18%
Automobile et transport	13%
Énergie et électronique	12%
Industrie et équipement	12%
Autres	8%

Si l'on désigne Imerys comme ennemi, nos allié·es sont tous·tes celleux qui s'opposent à ses activités, ou plus largement celleux qui ont intérêt à lui nuire. Une première manière de les identifier est de lister les sites de l'entreprise et les oppositions locales.

J'ai assemblé un jeu de données recensant tous les sites gérés par Imerys en France. Ils sont issus d'un tableau dans une brochure publiée récemment², que j'ai complété avec des recherches sur Google maps. J'ai rajouté plusieurs champs pour améliorer la description des sites et pouvoir les représenter sur une carte.

Télécharger la carte des sites d'Imerys

Télécharger le jeu de données de tous les sites d'Imerys

Infrastructure	Département	Commune	Collectifs en lutte
Carrière	Allier	Dompierre-sur-Besbre
Carrière	Allier	Echassières	Stop Mines 03, Préservons la forêt des Colettes
Carrière	Ariège	Luzenac
Carrière	Cantal	Murat	Collectif Nouvialle
Carrière	Cher	Neuvy-sur-Barangeon
Carrière	Creuse	Soumans
Carrière	Côtes-d'armor	Glomel	Réfrac'terres, Bascule Argoat, Douar Bev
Carrière	Dordogne	Thiviers	Sauvegardons Lempzours
Carrière	Indre	Tournon-Saint-Martin
Carrière	Lot	Thédirac
Carrière	Pyrénées-Orientales	Lansac
Laboratoire	Haute-Garonne	Toulouse
Laboratoire	Haute-Vienne	Limoges
Laboratoire	Isère	Vaulx-Milieu
Magasin	Hauts-de-Seine	Puteaux
Magasin	Loiret	Briare
Magasin	Oise	Saint-Germers-de-Fly
Magasin	Paris	Paris
Siège social	Paris	Paris
Usine	Allier	Neuvy
Usine	Ardèche	Le Teil
Usine	Bouches-du-Rhône	Salin de Giraud
Usine	Bouches-du-Rhône	Fos-sur-Mer
Usine	Charente-Maritime	Clérac
Usine	Essone	Etrechy
Usine	Haute-Vienne	Le Palais-sur-Vienne
Usine	Haute-Vienne	Saint-Yrieix-la-Perche
Usine	Haute-Vienne	Aixe-sur-Vienne
Usine	Hautes-Pyrénées	Beyrède-Jumet-Camous
Usine	Indre	Châteauroux
Usine	Maine-et-Loire	Trélazé
Usine	Morbihan	Ploemeur
Usine	Nord	Dunkerque
Usine	Oise	Villers-sous-Saint-Leu
Usine	Seine-et-Marne	Poigny

Imerys possède 10 carrières en France, qui se situent principalement dans le Sud et l'Ouest. L'entreprise a également un projet de carrière à Murat dans le Cantal. Des collectifs sont en lutte sur au moins 4 de ces lieux :

• À Échassières, contre le projet de mine sur une carrière de kaolin.
• À Murat, le collectif Nouvialle tente de protéger une zone humide d'un projet de carrière de diatomite.³
• À Glomel, en Bretagne, plusieurs associations luttent contre l'extension d'une carrière d'andalousite.⁴
• À Thiviers, en Dordogne, une association s'oppose à l'extension d'une carrière de quartz.⁵ Il n'est toutefois pas sûr qu'elle soit encore active.

Lutter ensemble pourrait signifier organiser des manifestations communes, se rendre aux évènements des autres, partager des savoirs sur les pratiques de l'entreprise, partager des frais juridiques, etc. Ce travail a déjà été commencé à l'occasion d'un évènement le 25 mai.⁶ Les lieux en lutte sont plutôt éloignés les uns des autres : pas un n'est à moins de 2 heures en voiture d'un autre. La possibilité de mettre en commun des forces militantes et des moyens matériels est donc limitée, sauf à l'occasion de grands évènements.

L'industrie des batteries de véhicules électriques

Pour le moment, il n'existe pas de filière entièrement française pour les batteries de véhicules électriques. Bien sûr, il n'en existera probablement jamais, parce que cela demande trop de matériaux et de composants différents. Par exemple, la France a peu de réserves de cobalt ⁷, alors que ce métal est encore essentiel dans la principale technologie de batterie. L'impossibilité d'un indépendance totale n'empêche pas les États et entreprises européennes de tenter de sécuriser leurs approvisionnements pour un maximum de matières et composants, à l'aide d'accords bilatéraux⁸ et de nouvelles unités de production.

Pour identifier les sites de cette filière en cours de constitution, j'ai eu recours à plusieurs sources principales :

• Plusieurs cartes réalisées par le site professionnel Battery News,⁹ qui est excellent pour comprendre la chaîne d'approvisionnement à l'échelle européenne. J'ai complété les informations manquantes sur certains sites avec des recherches sur le web.
• Le dossier sur le recyclage de batteries de véhicules électriques, dans le dernier numéro du Postillon¹⁰, journal militant grenoblois.
• Une revue de presse sur le web conséquente — mais non exhaustive — pour chaque étape de la chaîne d'approvisionnement.

Télécharger la carte de la chaîne d'approvisionnement des batteries

Télécharger la liste d'articles utilisés pour constituer le jeu de données

Télécharger le jeu de données de la chaîne d'approvisionnement des batteries

Extraction de lithium

Commune	Site	Ouverture	Entreprises	Oppositions
Mulhouse	Projet	2026	Vulcan Energy	Groupe de Resistance Alsace Anti Lithium
Rittershoffen	Projet	2027	Eramet	Association de défense de l’environnement et de la qualité de vie, Groupe de Resistance Alsace Anti Lithium
Échassières	Projet	2028	Imerys	Stop Mines 03, Préservons la forêt des Colettes
Vic le Comte	Projet		Sudmine	Collectif Projet Centrale de Géothermie Profonde

Raffinage de lithium

Commune	Site	Ouverture	Entreprises	Oppositions
Lauterbourg	Projet	2026	Viridian	Groupe de Resistance Alsace Anti Lithium
Mulhouse	Projet	2026	Vulcan Energy	Groupe de Resistance Alsace Anti Lithium
Rittershoffen	Projet	2027	Eramet	Groupe de Resistance Alsace Anti Lithium
Montluçon	Projet	2028	Imerys

Production de batteries

Commune	Site	Ouverture	Entreprises	Oppositions
Brassac-les-Mines	Existant	2019	GCK Battery
Poitiers	Existant	2021	Forsee Power
Billy-Berclau, Douvrin	Existant	2023	Automotive Cells Company
Bourbourg (Dunkerque)	Existant	2023	Verkor
Grenoble	Existant	2023	Verkor
Quimper	Projet d'extension	2025	Blue Solutions
Douai	Projet	2025	Envision AESC
Dunkerque	Projet	2026	Prologium
Maubeuge	Projet	2026		Addas, Natur'Hainaut

Recyclage de batteries

Commune	Site	Ouverture	Entreprises	Oppositions
Saint-Quentin-Fallavier	Existant	1981	SNAM
Viviez	Existant	1988	SNAM
Amneville	Existant	2023	Renault, Veolia
Grenoble	Existant	2023	SK Ecoplant
Dieuze	Existant	2023	Veolia, Edi
Bazoches-les-Gallerandes	Existant	2024	Ecobat
Trappes	Existant	2024	Eramet
Harnes	Existant	2024	Li-cycles
Dunkerque	Projet	2025	Suez, Eramet
Dunkerque	Projet	2027	Suez, Eramet

3 zones particulièrement touchées par la filière batterie se distinguent :

• La fameuse "vallée de la batterie", dans le Nord de la France, où pas moins de 8 usines de production ou de recyclage de batteries ont déjà ouvert ou sont en projet pour les prochaines années.
• L'Alsace, concernée par 5 projets d'extraction ou de raffinage de lithium, qui serait récupéré dans les eaux de géothermie profonde.
• La région Auvergne-Rhône-Alpes, qui accueille de manière plus dispersée des projets d'extraction, de raffinage, de production et de recyclage.

De manière surprenante, il s'avère que de nombreuses usines de production et de recyclage de batteries existent déjà en France. Pour la production, ce sont toutefois souvent des sites de R&D avec un faible volume (comme Verkor à Grenoble), ou pour des usages plus diversifiés que la voiture électrique (GCK Battery, Forsee Power). À l'inverse, la totalité des nouvelles usines serviront à produire des batteries de voiture, tandis que l'extension de l'usine Blue Solutions (Bolloré) à Quimper étendra ses capacités de production des batteries de bus. En somme, si on peut débattre de la nocivité des usines existantes (principalement consacrées aux transports publics et légers), celle des nouvelles usines ne fait aucun doute.

J'ai également appris que les grandes entreprises de l'automobile cherchent à sécuriser leurs approvisionnement en batteries en finançant ou en s'associant à des projets. Je n'ai pas fait de recherches exhaustives sur le sujet, mais dès qu'on se penche sur les entreprises derrière les projets, on tombe sur des multinationales bien connues. Voici les actionnaires principaux de quelques entreprises :

• Prologium : Mercedes-Benz
• Verkor : Renault, EQT Ventures
• Automotive Cells Company : TotalEnergies, Stellantis (ex-PSA), Mercedes Benz

La même chose pourrait probablement se vérifier sur les autres maillons de la filière : Vulcan Energy, qui tente d'extraire du lithium par géothermie, s'est associée à Stellantis.¹¹

J'ai recensé 5 pôles de lutte :

• Le projet de mine de lithium à Échassières.
• Un collectif à Vic le Comte, qui s'oppose à un projet de géothermie profonde.
• Le Groupe de résistance Alsace Anti-lithium¹², qui regroupe les habitant·es de différentes communes alsaciennes concernées par les projets d'extraction.
• À Maubeuge, plusieurs associations s'opposent à l'implantation d'une usine de batteries,¹³ dont je n'ai pas réussi à trouver le porteur de projet.
• À Rittershofen en Alsace, l'Association de défense de l’environnement et de la qualité de vie se mobilise contre un projet d'extraction de lithium par géothermie.¹⁴

Toutes ces oppositions sont liées par la chaîne d'approvisionnement des batteries au lithium. Une usine qui ne se fait pas dans le Nord de la France, c'est un client potentiel en moins pour Imerys. Une unité de raffinage de lithium non construite en Alsace, c'est un risque d'approvisionnement supplémentaire pour les usines de batteries. Bien sûr, ces entreprises n'hésiteront pas à commercer avec le reste du monde si elles y voient un intérêt économique, en commençant par l'UE. Imerys ne donne d'ailleurs aucune garantie sur la destination finale du lithium : s'engager à fournir uniquement certains types de véhicules, dans un périmètre réduit, c'est se couper d'un énorme marché.

Du point de vue de la lutte, il paraît donc plus pertinent de réfléchir en termes de risques financiers que de possibilité ou non de produire. Chaque action et chaque discours contre un projet contribue à semer le doute sur la viabilité financière de la chaîne d'approvisionnement dans son intégralité. Ici, en plus des possibilités de coordination entre luttes évoquées plus haut, il y aurait donc intérêt à relier systématiquement les actions à un discours plus large contre la filière des voitures électriques. Rendre visible cette coordination permettrait de faire exister un risque financier dans le débat public.

Le potentiel de politisation des usines de recyclage n'est pas à négliger non plus, comme le montre l'enquête du Postillon¹⁰. En premier lieu, aucune en France ne permet actuellement de récupérer du lithium de qualité batterie, et les technologies qui permettraient de le faire sont à peu près aussi polluantes que les mines. Deuxièmement, le nombre d'incendies monte très rapidement à cause de l'augmentation du nombre de batteries au lithium, particulièrement inflammables. En 2023, une petite dizaine d'usines françaises ont connu des incendies très violents dégageant des pollutions très importantes. Dans la perspective d'une coalition contre la filière batterie, un tour des communes touchées par ces incendies permettrait peut-être de trouver de nouvelleaux allié·es.

Le renouveau minier

Enfin, on peut également désigner le retour de l'extraction en France (ou en UE) comme notre ennemi. Cela implique de suivre de près les permis exclusifs de recherche, pour anticiper les prochains projets miniers.

Tous les permis miniers accordés par les administrations françaises sont disponibles sur le site gouvernemental https://camino.beta.gouv.fr. J'ai extrait uniquement les permis en cours de validité dans la catégorie "minéraux et métaux", pour exclure les carrières.¹⁵ J'ai représenté les principales substances extraites et la surface couverte par le permis dans la carte ci-dessous.

Télécharger la carte des permis miniers français

Télécharger le jeu de données des permis miniers français

J'ai choisi de me limiter aux permis existants pour le moment, mais on pourrait compléter cette carte par une lecture des évaluations du sous-sol français réalisées par le BRGM¹⁶, ainsi que des discours gouvernementaux et d'entreprises sur son "potentiel".

5 substances minières font actuellement l'objet d'explorations :

• Le lithium, à Échassières et en Alsace.
• L'hélium, en Bourgogne Franche-Comté
• L'or, au sud de Limoges et à de nombreux endroits en Guyane
• L'hydrogène natif, dans les Pyrénées
• Le tantale, à Kourou, en Guyane

Le lithium, l'hélium et le tantale font partie de la liste des 34 matières premières critiques identifiée par l'Union Européenne.¹⁷ L'hélium, utilisé dans une grande diversité de procédés industriels, n'est pas spécifiquement lié à la transition énergétique. 68% de la production mondiale de tantale est utilisée pour l'électronique, notamment dans le secteur automobile.¹⁸ Il se retrouve donc probablement dans beaucoup de technologies "vertes". On peut également noter que l'hydrogène natif génère quelques espoirs chez les techno-optimistes en tant que source d'énergie décarbonée.¹⁹

Le nombre de projets semble pour le moment très limité, surtout si l'on compare avec la quantité de mines en activité en Guyane. De plus, je n'ai trouvé aucune trace d'opposition locale à l'exploration d'hélium et d'hydrogène. Le permis d'exploration pour du tantale en Guyane fait l'objet d'une forte opposition ²⁰, bien que la distance géographique peut rendre difficile les alliances. Ainsi, le renouveau minier annoncé depuis quelques années, et les conflits qui l'accompagneront, sont en grande partie devant nous. La carte rappelle également que si la métropole a fermé ses mines au début des années 2000, l'extractivisme le plus violent et le plus inutile continue en Guyane. Cette région accueille la quasi-totalité des concessions minières, qui servent à produire de l'or.

Ce que ma carte ne montre pas est également instructif: depuis les accords de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie est souveraine sur l'exploitation du nickel de son sous-sol. Ces concessions minières ne sont donc pas dans les bases de données de l'État français, mais pourraient le redevenir suite aux annonces récentes de Bruno Le Maire.²¹ La violence avec laquelle l'État français s'est lancé dans une guerre coloniale sur place est peut-être liée à sa volonté de s'assurer un approvisionnement en nickel pour les batteries de véhicules électriques.